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Miette et Noré

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CHANT II
EN CHEMIN

Tantôt Noré se bat pour Miette : elle espère.
Tantôt son père insulte et veut battre le père
De Noré : tout l’espoir qu’elle avait n’est plus rien.
Un temps loin du pays peut me faire du bien,
Songe-t-elle, et voilà qu’un matin — la petite
Dit : « Si cela vous plaît, mes parents, je vous quitte.
J’irai chez les Arnaud qui seront bien contents,
Et j’aiderai pour les châtaignes ; c’est le temps.
Il doit y en avoir sous les feuilles, à terre !
Je pars. » — La mère dit : « Il faut la laisser faire. »
Le père grommela. Le chemin était long !
Une fille, courir la plaine et le vallon !
On l’aidait, lui, si bien ! Il comprenait sans peine
Que Miette partît pour aider sa marraine !
Le compère avait-il besoin de ce secours ?
Les plus gros accidents se voyaient tous les jours ;
Les sentiers étaient pleins de chasseurs à cette heure,
Et de pâtres… Enfin, qu’elle parte ou demeure,
Il s’en moque ! pourvu qu’il soit servi chez lui.
… « Et quand pars-tu ? » — « Si vous le voulez, aujourd’hui. »
Il répondit : « C’est bon ! — Que le diable t’emporte ! »
L’âne est bâté, sanglé, bridé, devant la porte ;
Le panier double aux flancs, il attend, le cou bas.
La mère de Mion ne se fatigue pas
D’expliquer les sentiers les plus courts à sa fille :
— « Fais bien des compliments à toute la famille,
Dit-elle enfin ; n’as-tu rien oublié ? » — « Non, rien. »
— « Voilà les six melons d’hiver. Tu diras bien
Que je les ai choisis plus beaux que pour les vendre.
Et voilà ton dîner, figues sèches, (pain tendre !)
Et piquette. C’est bien. Et tu n’oublîras pas,
En présentant les trois paires de petits bas,
De faire à la commère une bonne caresse ! »
Et Mion suit déjà son âne qu’elle presse,
Quand sa mère lui crie encor de loin : « Mion !
Embrasse bien l’enfant, et fais attention
Que j’ai tenu les bas un peu grands pour son âge !
C’est mieux ! » Mion n’en veut pas savoir davantage,
Mais Antoine poussant la fenêtre à grand bruit :
— « Surtout, rapporte-nous un peu de leur vin cuit ! »
Leurs cruches à la main, les filles, sur la place,
A la fontaine, ont ri de voir Mion qui passe :
— Ah ! ah ! oh ! oh ! où va la belle, si matin ! »
Et plus d’une a fait pis que pendre, — c’est certain, —
Qui jase le plus fort, le plus haut, sur son compte !
Pour mieux cacher son jeu, — qui sait même ? sa honte, —
Plus d’une rit, mauvaise, en la montrant du doigt !
Qu’on parle d’elle ainsi, pécaïre ! elle le voit,
Et se hâte : « i, Briquet ! » Depuis la farandole,
C’est ainsi tous les jours ; c’est à devenir folle !
Elle se dit qu’elle est heureuse de partir,
Qu’il fallait qu’elle parte. Il le faut, sans mentir.
« Va donc vite, Briquet ! » Mais non, le gueux s’arrête.
« Hue, âne ! Partons vite. » Ah ! oui ! Briquet s’entête,
Et braille. Il ne sait pas que la pauvre a besoin
De quitter ce pays et de se sentir loin,
Et d’oublier Noré d’abord, Norine ensuite,
Et Finon, et son père, et tout ! — « Marche donc vite,
Bourriquet ! » — Cris et coups. — Briquet n’obéit pas,
Et le gueux, tout à coup, revenu sur ses pas,
Court boire à la fontaine au beau milieu du monde
Et des mots à deux sens qui partent à la ronde,
D’où Miette, affrontant plus d’un mauvais lardon,
Le dut à contre-cœur tirer par le bridon.
Et plus loin, sur leur banc, les vieux à leur coutume
Étaient tous assis, — l’un qui dort, l’autre qui fume, —
Au soleil, adossés contre le mur tiédi,
Près du palmier qui vient dans ce coin au midi,
Dominant de son front deux ou trois lauriers-roses,
Mais ces vieux, si fâchés du train nouveau des choses,
Voyant passer Mion, ces vieux pleins de sommeil
Riaient à sa jeunesse et sentaient le soleil !
Enfin elle est en route, et près de la rivière.
L’âne va d’un pied vif, et Miette, en arrière,
Une aiguille aux cheveux, sous son chapeau, — d’un pas
De jeunesse, le suit en tricotant son bas.
Mauvais travail, qui met l’esprit en songerie.
En passant aux Trois Pins elle se signe et prie !
« Mon Dieu, délivrez-moi du mal d’aimer Noré. »
Mion depuis un mois ne l’a plus rencontré ;
Il est vrai qu’elle y prend peine ! Et la fille songe,
Repassant en détail le chagrin qui la ronge.
Comme c’est malaisé de s’arracher l’amour !
Elle fait ce qu’il faut cependant. L’autre jour,
Pour l’éviter, elle a, — se cachant dans la haie, —
Attendu que le gars fût au bout de sa raie.
Qu’il était fier ! le col défait, poitrine au vent,
Guide nouée au bras de l’araire, — élevant,
Selon le creux, baissant le soc avec adresse,
Calmant le mulet vif ou piquant sa paresse,
Car si ce gueux, planté, n’avançait plus du tout,
Il ramassait un peu de terre tout à coup,
Pour la lancer avec des jurons de colère
Au fainéant fouetté par les mottes de terre.
Mion de sa cachette ainsi voyait Noré
Tracer droit le sillon de son bras assuré,
Et la terre s’ouvrir, fumante, belle, rousse,
Montrant le mauvais germe en travail, qui repousse,
Mais s’offrant toute prête à couver le bon grain.
Et Noré chantonnait pour soutenir l’entrain,
Et la fille entendait aussi, haut sur sa tête,
Dans le ciel d’aube, frais, plein d’éclat, tout en fête,
Haut, bien haut, — comme un point noir dans le bleu de l’air, —
L’alouette, montante au soleil, chantant clair.
Chaque saison chérit sa bête consacrée.
L’été jaune a chez nous la cigale dorée,
Ame des blés, vêtue aux couleurs du soleil ;
Le brillant papillon, à la fleur si pareil,
Est au printemps, tisseur de roses et de soie ;
Et l’automne et l’hiver n’ont d’heureux que ta joie,
Alouette ! — C’est toi qui dis : Le jour ! le jour !
Au paysan qui doit reprendre son labour ;
Ton chant, si haut perdu, cependant l’accompagne
Dans le sillon perdu si bas dans la campagne ;
Sous ta robe, couleur de terre et de bois mort,
Ton cœur gaulois, ton cœur de paysan bat fort,
Et ton gosier perlé, du haut du ciel de France,
Sème comme grains d’or des trilles d’espérance !
Et toi, terre d’automne, et toi, terre d’hiver,
Quand ton flanc maternel est déchiré du fer,
Ou frissonne de froid sous le blé court qui pousse,
Blottie en tes sillons, l’alouette t’est douce !
Jacque suivait Noré, le sac autour des reins,
Le dos plié, le front levé, puisant les grains
Dans le sac, et jetant sur sa trace à main pleine
Le pain futur, — tandis que de toute la plaine
Hoche-queue, alouette et moineau, par long vol
Accouraient, s’abattant comme grains sur le sol ;
S’épeurant quelquefois tous ensemble d’eux-même,
Mais revenant toujours suivre l’homme qui sème,
Car ils connaissent bien, en marchant dans ses pas,
Qu’il répand de la vie à chaque tour de bras !
Et des voisins, passant par là, disaient au maître,
Pour plaisanter : « Alors ? vous êtes fous peut-être,
De jeter votre bien aux quatre vents du ciel ! »
Et tous riaient, l’espoir étant l’essentiel.
… Et Miette se dit qu’elle est sans espérance,
Sans amour, sans moisson, sans bien, toute en souffrance !
Jamais elle n’a mieux compris qu’elle n’a rien
Qu’en voyant maître André, pour féconder son bien,
Prêt à lancer les grains de sa main toute grande,
Lever son bras, — de l’air de quelqu’un qui commande
Tandis que ce Noré, qui la met en souci,
Guidant sa bête, — avait un air de maître aussi,
Et lui semblait, pressant les deux bras de l’araire,
Tenir comme un timon à gouverner sa terre !…
Ainsi Miette fait mille songes tout bas,
Toujours suivant son âne et tricotant son bas.
Autour d’elle parfois la route toute entière
Dans un coup de mistral cheminait en poussière ;
Puis le mistral tombait ; alors un autre vent
Soufflait, mais aussi fort ! un mistral du levant !
C’est l’automne, le temps où la lumière est blanche.
Le feuillage éclairci montre toute la branche ;
Et par plaine ou montagne on voit des tourbillons
De pampres rougeoyants, de feuilles, — d’oisillons
Dont le cri fuit perdu dans la plainte des bises.
Tout là-haut, en plein ciel, par des routes précises,
Les oiseaux voyageurs poussent contre le vent,
Vers l’ouest, les plus vieux par côtés et devant,
Leurs bataillons formés comme un soc de charrue.
C’est d’abord le ramier ; plus tard l’oie et la grue.
L’étourneau moins prudent passe en désordonné.
Toujours seul, curieux et toujours étonné,
De taillis en buissons le rouge-gorge arrive,
Et vive et prompte, presque invisible, la grive
Aux grands yeux, ne paraît qu’au fin jour et le soir.
Mion marche, rêvant, tricotant, sans rien voir.
Lorsque des gens passaient : — « Bonjour la compagnie ! »
Et ces gens se disaient : « La petite est jolie,
Mais elle a comme un air de tristesse. » Mion
Travaille au bas sans y mettre d’attention,
Mais d’être si pensive elle baisse la tête
Et ne voit rien, — et c’est l’âne enfin qui s’arrête.
Il a soif, il a faim. Elle ôte le bridon.
Le gueux ! C’est près d’un puits où pousse le chardon.
Elle aussi boit et mange, et se remet en route :
« Hue ! » et la songerie encor la reprend toute,
Et sans rien voir de plus, comme le soir tombait,
Qu’un vieux pâtre étendu, flûtant du galoubet
Aux chèvres qui broutaient tintant dans les bruyères,
Elle se reconnut près de Collobrières.
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