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Miette et Noré

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CHANT V
LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER

C’est le grand jour de fête aux Saintes. Le village,
— Seul, droit, sur le désert sans ombre de la plage,
Où vient le salicor rampant, aimé des bœufs,
Où l’eau saumâtre dort dans les fossés bourbeux, —
A hissé ce jour-là drapeaux, flammes et tentes,
Et font un pauvre peuple en loques éclatantes,
Les uns voués au blanc, au bleu, — d’autres aux deuils !
Parmi les habitants qui regardent des seuils,
Et les chars renversés sous lesquels on s’abrite
A l’ombre, — marchandant quelque image bénite
Ou quelque chapelet aux vendeurs ambulants,
Tout un peuple, petits enfants, vieillards tremblants,
Manchots, borgnes, pieds bots, fiévreux, femmes et filles,
Traînant malheurs, douleurs, guenilles et béquilles,
Pauvres endimanchés, flétris, affreux à voir,
Portent, sous leur laideur, la beauté de l’Espoir.
Entre les mendiants, les gens de pâle mine
Que tient la maladie ou qu’une douleur mine ;
Des rares qui sont sains parmi ces étrangers,
Les uns ont fait des vœux dans quelques grands dangers,
Les autres sont venus prier pour un malade,
De rares curieux y sont en promenade,
Mais parmi tout ce monde, on peut voir fréquemment
Sur un cheval — un couple amoureux et charmant.
L’Arlése au profil pur, — dont la fraîche poitrine,
Sous les fichus ouverts et bombés, se devine
Et se voit battre un peu, malgré les mille plis
Qui lui donnent du mal mais qui sont si jolis, —
Avec ses noirs cheveux qui font des vaguelettes,
Couronnés du velours en larges bandelettes
Dont un grand bout pendant flotte sous le chignon,
D’un bras faisant ceinture à son fier compagnon,
En riant aux éclats tressaute sur la croupe,
Et la force et l’amour n’ont pas de plus beau groupe.
… Et si jeunes sont-ils, qu’avec le cœur chrétien
Du mal qui les entoure ils ne voient même rien !
Les châsses descendront à midi dans l’église.
Les habitants sont gais.
— « Le temps nous favorise, »
Dit l’un d’entre eux chez qui Miette et ses amis
Déjà sont attablés devant le couvert mis.
« … Le soleil fait toujours arriver plus de monde :
Nous en avons besoin ! Une lieue à la ronde
Vous ne trouveriez pas un morceau de terrain
Assez sec, assez bon pour nous donner du grain.
Pauvres gens, nous vivons sur le sable, sans vigne,
Sans olivier, sans blés, ni rien ; on s’y résigne ;
On boit l’eau de citerne, on a la fièvre, bien.
Avouez cependant qu’on ne vit pas de rien.
Mais Dieu veillait. Il a poussé sur notre plage
Les Saintes dont les os sont l’honneur du village,
Notre seul vrai secours dans la soif et la faim,
Le trésor du pays, notre récolte enfin !
Car pour la fête nos maisons sont des auberges ;
Un seul lit vaut de l’or ; pain et vin, fleurs et cierges,
On vend de tout : c’est la vendange et la moisson !…
Sans ça je vous aurais pour rien dans ma maison. »
Il détacha du mur une image flétrie :
Dans un bateau lancé sur la mer en furie,
Sans rames et sans mâts, par les Juifs d’Orient,
Les trois Saintes debout, visage souriant,
Salomé, Jacobé, Magdeleine, aux tempêtes
Tendaient leurs voiles fins arrondis sur leurs têtes,
Et le groupe divin voguait, blanc, jaune et bleu,
D’Orient en Camargue où le conduisit Dieu.
Mion leva des yeux humides sur l’image.
Et le Saintin : « Salut, patronnes du village ! »
Il les remit au mur, et reprit : « Une fois,
Un Monseigneur nous vint avec plusieurs Aixois
Et des dames, — trop tard, au moment où la Châsse
Se remontait au bout des cordes, à sa place, —
Vous savez comme un seau dans un puits, — dans la nef.
(Elle demeure en bas un jour, une nuit…) Bref,
L’archevêque voulut la faire redescendre.
Il donna l’ordre… aï ! aï ! ce fut un bel esclandre !
Que serait-il de nous ? Ça deviendrait un jeu,
Si trente fois par an, je vous demande un peu,
Les châsses descendaient pour plaire à l’archevêque !
On le lui dit ; il dit : « Je veux ! » — On lui rebèque.
Il monte dans la chaire et prêche contre nous.
Mais on n’écoutait pas. — « Braves gens, à genoux ! »
Disait-il, — à des sourds !… Les femmes font leurs larmes,
Mais les hommes parlaient de décrocher les armes,
Et répondaient toujours à « je veux » : « nous voulons ! »
L’archevêque et les siens montrèrent les talons. —
… Si dix fois l’an, j’espère un miracle, j’abuse !
La volonté de Dieu n’est pas qu’on s’en amuse ! »
Tous regardaient leur hôte avec étonnement :
« On osa menacer l’archevêque ! » — « Oui, vraiment !
Réfléchissez un peu. Ne faut-il pas qu’on mange ?
J’ai gardé ma moisson, l’évêque, et ma vendange ! »
— « Tenez, ajouta-t-il, c’est votre heure ; allez voir ;
Et soyez exaucés, braves gens. A ce soir.
… Surtout n’oubliez pas le puisard dans l’église :
L’eau mauvaise, en ce jour par miracle est exquise ;
Il faut en emporter pour vos amis au loin.
… Il faut aussi veiller sur la bourse avec soin
Car les bohémiens dans la chapelle basse
Sont maîtres, sont chez eux : c’est un droit de leur race.
… Vous pourrez voir leur Reine… On dit, — je ne sais pas —
Que les Saintes venaient de son pays là-bas. »
— « Allons à nos devoirs, mon oncle, » dit Miette,
Car ce pays perdu la rend plus inquiète.
« Saintes, exaucez-moi !… Oh ! je les prîrai bien !
Si Dieu veut, le passé même ne sera rien ! »
Ils vont, et se sentant approcher d’un mystère,
Graves, les trois marins ne peuvent que se taire.
Sauf une fois, pas un ne desserra les dents.
François parla. — De voir les murs reluire, ardents,
Peints en clair, rose ou bleu, de teintes éclatantes,
Ombrés de loin en loin par un plafond de tentes,
Il dit seulement : « Tiens ! je me semble en Alger. »
Devant l’Église, un peuple. On ne peut plus bouger.
Sous un coup de soleil à chauffer une forge,
La foule du dehors, — car l’Église regorge, —
Brûle, et pareille à l’eau stagnante des marais,
Exhale un miasme impur comme le Vaccarès,
Car vieillards en haillons, nouveaux-nés dans leurs langes,
Tous ces pauvres maudits sont pleins de maux étranges !
Les uns sont des blessés dans les guerres, débris
D’hommes, — les poings coupés, les yeux pourris, —
Ouvrage merveilleux de quelque chef sublime
Acclamé par son peuple et payé pour le crime !
D’ouvriers, peu ou pas : le mécanicien,
De ce qui n’est pas l’homme et l’esprit — n’attend rien ;
Mais beaucoup de fiévreux dont l’air hagard effraie,
De chétifs, dévorés vivants par quelque plaie,
Et tous ces malheureux, du dernier au premier,
C’est la race de Job, et l’horrible fumier !
Autour, des gens épars rôdent, — âmes en peine
Tristes de renoncer à l’Église trop pleine,
Parmi lesquels Mion vit, — allant et venant, —
Une femme au corps svelte, au maintien surprenant,
Toute en haillons de pourpre où l’or des colliers sonne,
Face de bronze ayant au front une couronne…
Ton royaume, dis-moi, Bohême, quel est-il ?
— « Il est vaste ! et les rois m’y visitent ! — L’Exil ! »
Tout passe, et les créneaux qui couronnent l’Église
Parlent, blancs sur l’azur, des temps où par surprise
Les Sarrazins bronzés débarquaient sur ce sol,
Rois des vagues, traînant l’incendie et le vol.
Quand ils venaient, poussant leurs barques au rivage,
Oiseaux de mer, jetant comme elle un cri sauvage,
Le peuple s’enfermait dans la maison de Dieu
D’où les flèches pleuvaient avec la poix en feu…
L’Église est toujours là, debout ; mais l’hirondelle,
Nichant dans les créneaux, crie et vole autour d’elle !
A force de peser en avant, par progrès
Insensibles, nos gens eurent le seuil tout près,
Puis, dans un mouvement qui se fit sur la porte,
Ils se virent entrés sans voir de quelle sorte.
L’Église est trop petite, — et dans l’air étouffant
Où flottent embrouillés cris, appels, pleurs d’enfant,
Jurons réprimés, chants préparés en sourdine,
Un grand soupir : l’Espoir mystérieux, — domine.
Accrochés sur le mur, partout, des ex-voto.
Ici, comme un jouet, pend un petit bateau ;
Là, des fusils crevés ; des langes, des guenilles ;
Et par-dessus tableaux et faisceaux de béquilles,
Des moellons en saillie, au lieu de quelque saint,
Portent là-haut, pendus et pressés en essaim,
Et jusque-là montés on ne peut savoir comme,
Des groupes, femmes, vieux, l’enfant au bras de l’homme,
Grappes noires qu’on voit, près de tomber parfois,
Se coller au mur plat qui fatigue les doigts.
La foule au-dessous d’eux prie et pleure, et bourdonne,
Anxieuse, attendant que la grande heure sonne.
La Châsse descendra par ce volet étroit,
Plaqué près de la voûte au flanc du haut mur droit,
Que le regard de tous à chaque instant consulte,
Et vers qui tous les cœurs s’élancent en tumulte.
O porte de l’Espoir, ton bois dans ce vieux mur
Est plus beau que l’or fin enchâssé dans l’azur !
Et quand tu t’ouvriras, ô porte des merveilles,
Ce sera pour montrer des choses non pareilles,
Des nuages divins ondés comme des flots,
D’où surgiront, ailés, de petits angelots
Soutenant de la main, de l’échine et des ailes
Les trois saintes, avec la Vierge au-dessus d’elles,
Qui portant le bonheur de tous ces malheureux,
Vont le faire pleuvoir dans les rayons sur eux !
Le volet s’ouvre. Alors, comme allumés d’eux-mêmes,
Mille cierges en feu brillent ! moment suprême.
Pas une main qui n’ait son cierge vacillant,
Faible lueur, pareille à l’espoir suppliant,
Et tous ces malheureux, tenant ces tristes flammes,
Semblent porter en main vers Dieu leurs pauvres âmes.
Cantiques, taisez-vous ! — Parlez, ô cœurs blessés :
— Ah ! pitié ! n’ai-je pas, Saintes, souffert assez !
— Faites marcher mes pieds ! — Faites-moi voir, ô Saintes !
— Faites parler mon fils ! — Grâce, écoutez nos plaintes !
— « … Saintes, j’ai cru parfois sentir bouger mon flanc !
J’ai péché ! mais voyez, je vous prie en tremblant,
Saintes !… Et toi surtout, Vierge, vois ma misère :
Mère, délivre-moi de la peur d’être mère ! »
Au sein de tous ainsi, remords, désir, frayeur,
Roule, obscur et muet, l’orage intérieur :
Exaucez-moi ! Pitié pour nous ! Miséricorde !
Et la Châsse apparaît ! glisse, — et tendant la corde,
Descend ! — Un long cri part, fait de mille douleurs.
Et la Châsse, — un cercueil rougeâtre, peint de fleurs, —
Par secousses descend sur le peuple en prière,
Lentement, lentement, de son dur ciel de pierre…
Elle arrive, on se hausse, on se presse alentour.
Ceux qui l’ont pu toucher, sont touchés à leur tour…
Qui l’a vu, ne peut plus oublier ce spectacle.
Tout un jour, une nuit, implorant le miracle,
Les gens se traîneront vers la Châsse, à genoux,
Les bras tendus, criant : Saintes ! exaucez-nous !
On se disputera pour couche — le couvercle !
Et la Châsse immobile est là, centre d’un cercle
Effrayant — de désirs, d’impuissance et de cris !
Et Mion, détournant ses regards attendris,
Les porte par hasard sur un vitrail qui brille.
Le dehors luit. Le ciel, tout rayé par la grille,
Regarde ces dedans affreux, mais calme, pur,
Il rit d’indifférence avec tout son azur.
L’oncle dut arracher Miette de l’Église.
La pauvre se sent triste à la fois et surprise
De voir tant de malheurs sur un point rassemblés,
Et le monde est confus dans ses esprits troublés.
Toussaint la guette un peu, cherchant à voir son âme,
Et plus il la regarde, et plus l’amour l’enflamme.
Et Mion se disait : « Si Dieu voulait pourtant,
Les Saintes à mes yeux paraîtraient dans l’instant,
Et me diraient : « Allez, Mion, Noré vous aime ! »
Et l’enfant malheureuse ajoute en elle-même :
« La Châsse est encor là… Quelquefois, ô mon Dieu,
Juste au dernier moment votre miracle a lieu ! »
Et voici venir l’heure où la Châsse remonte.
L’Église est pleine encor. L’heure sonne. On la compte.
Et la Châsse se meut comme un être vivant,
S’agite, et la voici déjà se soulevant…
La corde s’est tendue, et le départ commence.
Quoi ! vas-tu les quitter, ô Puissance, ô Clémence,
Grand Dieu ! sans soulager seulement l’un d’entre eux !
… Les rocs s’attendriraient devant ces malheureux !
S’ils portaient aux tombeaux cette plainte inouïe,
La Mort se lèverait pour consoler la Vie !
Et toi, sourde à leurs cris, leur as-tu résisté,
Châsse où dort le pouvoir divin de la bonté !
Leur as-tu donc menti, Châsse en forme de bière ?
Ne caches-tu pas même une vie en poussière,
Et — vide — contiens-tu, cercueil où rien ne dort,
Le néant plus muet et plus sourd que la mort ?
« Il est dans ce cercueil fermé, dans cette caisse
Que voici, que je vois et que ma bouche presse !
Il est là, le pouvoir de guérir tous mes maux !
En ouvrant le cercueil on verrait les saints os !…
Quoi ! l’aurai-je senti si près, touché moi-même,
Sans avoir fait mouvoir sa volonté suprême !
Palper, tenir ce bois, c’était tenir l’Espoir !
Et voici qu’il s’en va !… Non ! tu n’as qu’à vouloir
Pour que mon cœur s’apaise ou que mon mal guérisse !
Bonté ! fais le miracle ! apparais-nous, Justice ! »
Et comme des noyés contre un bateau glissant
Ils brisent sur ce bois leurs ongles tout en sang !
Déjà haute, — la Châsse est trop loin pour la bouche.
Dessous, — un peuple.
— « … Il faut que ma fille la touche ! »
Crie une femme, avec son enfant dans les bras.
« Nous venons de si loin ! nous n’y toucherions pas !
Place à l’enfant ! — Elle est aveugle, ma fillette !
Place, place à l’enfant !… »
— « Ah ! pauvre ! » dit Miette.
Mais non. La Châsse monte. En vain, crispant les doigts
Vers elle, deux cents mains se tendent à la fois…
Et la mère disait : — « Oh ! ma fille, ma fille,
Regarde en haut ! vois-tu quelque chose ?… l’œil brille ?
… Le miracle, ô mon Dieu ! pour moi ! pour mon enfant ? »
Et de rage et d’amour hurlait en étouffant,
Et tous, paralysés, boiteux, muets, la foule,
Tendaient les bras, criaient, poussaient, faisaient la houle,
Tandis que la mignonne, épuisée en efforts,
Pour voir la Châsse — ouvrait en haut — ses grands yeux morts !
Miette alors sentit crever son cœur de femme,
Et, s’oubliant, pria pour l’enfant dans son âme.
Oui, son propre malheur était presque oublié !
Elle élève vers Dieu son cœur plein de pitié.
Et tous guettant en eux un signe du prodige,
Chacun écoute en soi la douleur qui l’afflige :
Dans la cohue, ici, se démène un pied bot ;
Sous les yeux d’une aveugle on agite un flambeau ;
Un prêtre parle bas au sourd-muet qui crie ;
Et cela fait le bruit d’une mer en furie.
Tout à coup, il s’est fait un silence effrayant
Et le sang s’est glacé dans tous les cœurs priant.
Tous les yeux sont en haut, sur l’étroite fenêtre
Où la Châsse arrêtée est près de disparaître.
Viendra-t-il, le miracle ? Et pour qui, s’il a lieu ?
Oh ! terribles moments où l’esprit, touchant Dieu,
Le sent comme la Loi sur le Marbre, — inflexible,
Et qu’au malheur humain l’homme seul est sensible !
La Châsse est disparue, et le volet s’est clos.
Alors, dans un sanglot partent mille sanglots,
Dominés cependant par la clameur des mères !…
Le vent du désespoir, sur ces âmes amères
Se lève ! les secoue ! et tord aussi la chair !
Et l’Église paraît comme un coin de l’Enfer !
Toussaint tira de là Miette évanouie.
— « L’oncle n’est pas là ? » — « Non. » Il l’entraîne ; il essuie
Ses yeux noyés, — et dit : « Miette, je comprends
Que vous avez de grands chagrins, très grands, trop grands !
Celui que vous aimez, Mion, n’en est pas digne.
Moi je vous veux. Parlez. Sur un mot, sur un signe,
Vous serez obéie et nous serons heureux.
Vous l’aimez ? Je vous veux quand même ! Je vous veux,
Puisqu’il ne connaît pas son bonheur. A mon âge
On aime bien et fort ; tenez, le bœuf sauvage,
Piqué par l’aiguillon qu’il emporte à son flanc,
C’est moi, piqué d’amour, — et tel, blessé, beuglant,
Je vous emporterai tout de suite vous-même
Où vous voudrez… Mion, tu vois bien que je t’aime ! »
— « Assez ! dit-elle… C’est un péché d’être fou ! »
— « Et nous nous marîrons de suite, n’importe où !
Partons sur le bateau, ce soir, demain, ensemble ! »
— « Je suis perdue, ô Dieu ! » dit-elle, et sa voix tremble,
Hésitante, au moment de livrer son secret.
Pourtant, parler soulage. Un mot qu’elle dirait
Apaiserait son âme… Et, muette, elle y rêve :
Dans quel cœur épancher le sien — trop plein, — qui crève ?
L’oncle lui ferait peur. Et sa mère ? elle est loin.
Tous deux sont là, rêvant, muets, et sans témoin.
Une procession, lentement, — du village
Sort, et s’en vient chantante, et vient suivre la plage,
Chacun tenant des lis qui se fanent au vent,
Et six braves pêcheurs, qui cheminent devant,
Portent sur leur épaule une barque — où, pour voiles,
Les trois Saintes, en bois sculpté, tendent leurs voiles,
Et le balancement des porteurs fait la mer,
Et tout ce monde, noir sur le fond d’azur clair,
Grandit en s’éloignant, — c’est chose de remarque, —
Par le mirage, — et lis, prêtres, porteurs et barque,
Sous les regards fiévreux de la pauvre Mion,
Tout est démesuré comme une vision !…
Mais le brick, rassurant, au large se balance,
Et près d’elle est ce bon Toussaint, en grand silence.
Tout à coup, il l’embrasse.
— « Ah ! dit-elle, arrêtez !
… Bon Toussaint… Vous avez un monstre à vos côtés !
… J’espérais un miracle, en faisant ce voyage,
Et tantôt… — là Mion se cache le visage, —
… J’ai senti, j’ai compris… — elle baisse la voix, —
A ne pas m’y tromper, pour la première fois…
Que mon péché vivant tressaille dans moi-même !… »
Pâle, Toussaint lui dit simplement : « Je vous aime. »
Ils étaient écartés, à l’ombre d’un moulin
Qui se trouve par là… Les yeux gros, le cœur plein,
Toussaint lui répéta, prenant sa main : « Miette,
Voulez-vous de Toussaint ? »
Elle resta muette.
— « Personne ne saura le malheur. Au besoin,
Nous partirons de suite. On navigue ; on va loin ;
Quand on revient avec le mari qu’on se donne,
On a l’enfant… cela n’étonnera personne…
Le miracle, — il est fait !… je vous épouserai. »
— « Je suis folle… il faudra mourir… J’aime Noré. »
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