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Miette et Noré
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CHANT IV
LA SAINT-ÉLOY
… Elle s’y voit encore ; elle y est ; c’est la fête.
Elle en repasse tous les détails dans sa tête :
Et la veille, dès l’aube, en poussant son volet,
Elle entendit au loin les cris du galoubet,
Le bruit du tambourin, qui semblent aux oreilles
Les cris vifs d’un enfant suivi par des abeilles.
Et par les sentiers verts qui sillonnent les biens
Elle vit arriver les deux musiciens :
Un autre, — et puis Noré. — Tistin portait les Joies :
Ce foulard en était !… L’argent, l’acier, les soies,
Montre, écharpes, luisaient suspendus au cerceau.
Mius avait le sac et Martin le drapeau,
Et fric ! le galoubet vous perçait les oreilles,
Et broum ! le tambourin imitait les abeilles.
Elle était donc à sa fenêtre, se levant,
Et la bande joyeuse allait passer devant,
Car c’est un cabanon que Mariette habite,
Pauvre et devant lequel on marche toujours vite
Puisqu’il est écarté du village, à cent pas,
Et quand c’est de l’argent qu’on cherche, il n’en a pas.
Mais Noré vit Miette et cria : « Camarade,
La fille est belle ! il faut donner pour rien l’aubade ! »
Et fric ! — son père était dehors au cabaret, —
Le galoubet, fric, fric, fit son cri guilleret,
Et broum ! — sa mère sort tous les jours à l’aurore, —
Le tambourin, broum, broum, fit son bourdon sonore.
Et bien qu’elle n’osât se pencher pour les voir,
Les deux flûteurs faisaient de leur mieux leur devoir
Et ne s’arrêtaient pas de taper en musique,
Et ce cri vif à qui le gros bourdon réplique
Miette en palpitait jusqu’au fond de son cœur !
Fric, fric, le galoubet quelquefois est vainqueur ;
Broum, broum, et quelquefois le tambourin l’emporte ;
Fric, broum, cela dura quelque temps de la sorte…
Des disputes d’amour, voilà vraiment quel bruit
Font tous ces tambourins… que la flûte conduit !
Quand ils eurent fini : — « Parais à ta fenêtre,
Petite ! On ne vient pas pour te manger, peut-être ! »
Mais elle ne dit mot et ne se montra pas.
— « C’est là notre paîment ? fit une voix en bas ;
Quoi ! pas même un bonjour ! Parais un peu la tête ! »
Et comme elle se tut : « — C’est bon ! on fait la bête ?
Eh bien, voilà pour toi ! » Noré, sur ce mot, prit,
Dans le sac de Mius, le plus gros pain bénit,
— De ceux qu’on donne, pour la Saint-Éloy, la veille,
Aux bêtes qui tout l’an s’en trouvent à merveille, —
Et, déposant le pain sur le seuil, — au milieu
Des rires de la bande, il dit : — « Tiens, mange ! adieu ! »
Et, tambourin grondant, les malins s’en allèrent.
C’était en juin, à l’heure où les vallons s’éclairent,
Et le cri des moineaux, dans l’air frais du matin,
Eut bientôt dominé le tambourin lointain.
Et qui mangea le pain ? ce fut la chèvre blanche.
Et Miette, pardi, le lendemain dimanche,
Vite alla voir bénir les ânes, et surtout
Revoir ce fin moqueur qui lui plaisait beaucoup.
Pour qu’une fille y soit trompée et qu’elle en rie
Un malin fait parler l’amour en moquerie.
Et d’abord, au sortir de la messe, elle eut peur
Car elle ne vit plus qu’un seul tambourineur !
C’était l’autre ! — Et Noré qu’a-t-il ? est-il malade ?
Et Miette cherchait le beau sonneur d’aubade
De tous ses yeux, parmi le village assemblé
Sur la place pour voir bénir le défilé.
Voici bien le meunier Toucas, du moulin d’huile,
Le charron, le boucher, chacun prenant la file
Sur sa bête parée et fleurie. A son rang,
Maître Laugier conduit ses chevaux en jurant,
Attelés comme s’ils étaient à la charrette :
Limonier, cavillier, — et l’ânon gris en tête.
Et le vieux Bonifay, sur son char à bancs vert,
Mène d’assis, — et sous son prélart entr’ouvert
On voit le groin d’un porc et le bec d’une poule !
Mais lui ne veut pas rire et regarde la foule…
Pas de Noré !
Miette, en bien cherchant des yeux,
Voit qu’on la suit là-bas d’un regard curieux.
C’est Norine, Rosa, Claire, avec des ombrelles !
Patati, patata, de quoi bavardent-elles ?
Et va de rire ! — On rit de l’aubade d’hier,
Peut-être… Toutes trois la regardent d’un air !…
C’est qu’elles ont leur robe à la dernière mode,
Longue à traîner ! Eh bien, ce doit être commode !
Miette, elle, est toujours en simples jupons courts,
De cotonnade, à plis nombreux, rayés toujours
Blanc-bleu. Son casaquin à fleurs est d’indienne.
Oui, mais pour les porter mieux qu’elle, qu’on y vienne !
Les gros bas bleus qu’elle a tricotés de sa main
Montrent sa jambe, ferme et nerveuse en chemin,
Et dans son tablier bien serré sur la hanche
Elle a le beau fichu de mousseline blanche
Qui vient de sa grand’mère hélas ! et qu’avec soin
Elle arrange sur ses épaules au besoin.
Mais elle est tête nue ; à la main que tient-elle ?
Son grand chapeau de paille, aussi grand qu’une ombrelle.
… C’est sans doute de quoi ces trois filles là-bas
Se moquent. Cependant Noré n’arrive pas.
Tout à coup l’on entend une voix éclatante ;
C’est lui, Noré, portant le guidon qu’il enchante :
« Holà, oh ! Le guidon est à cent francs dix sous ! »
« Cent un, dit maître Brun. » « Cent un, dépêchons-nous… »
« Cent deux !… cent trois ! » Noré, fier sur sa jument rousse,
Qui porte un grand rideau jaune en façon de housse,
Passe, les pieds pendants, beau comme un colonel.
Il porte le guidon flottant avec lequel
On achète à l’encan, — pour la prochaine fête
Des animaux, le droit de marcher à leur tête !
« Cent neuf, ce n’est pas cher ! » « Cent dix ! » C’est marché fait.
L’église s’ouvre. Au seuil, le gros curé paraît…
Qu’il est beau, ce Noré, le premier de la bande !
La plus riche aujourd’hui rêve qu’il la demande…
Ah ! Miette, et tu crois qu’il t’aime ! tu le crois !
Il défile premier, fait un signe de croix,
Et salue au moment où sa bête est bénite,
Et pour le voir encor les filles, vite, vite,
Courent plus loin, au bout de la place, à grands pas,
Et se pressent, penchant la tête et jasant bas.
Et Miette ? le gueux ne l’a pas reconnue !
Mais l’heure de la course est à la fin venue.
Le tambourin, s’il l’a laissé, c’est pour courir.
« Au Roucas Blanc ! dit-on ; la course va s’ouvrir ! »
La route suit la mer la longueur d’une lieue,
Là-bas. Chacun y court. — Comme la mer est bleue !
Et calme ! C’est de l’huile. — On attend les coureurs.
Les ânes ont couru les premiers. Des moqueurs
Les faisaient arriver jusqu’au but en arrière !
Et l’ânesse du maire y parvint la première…
Miette voit la route et la mer, là devant.
Et tout à coup, hardi ! ses noirs cheveux au vent,
Hardi ! hardi ! là-bas, au tournant de la route,
Sur sa fine jument qui vole et fume toute,
Pierre, valet du comte, apparaît, hardi ! hop !
Noré suit, ventre à terre, à quadruple galop ;
Hardi, hardi ! l’on voit se pencher trois cents têtes,
Hardi ! elles vont bien toutes deux les deux bêtes,
L’une fine, aux harnais tout reluisants d’acier,
L’autre pesante, mais nue et sans étrier !
Hardi, hop, les coureurs ont à faire une lieue…
On croit les voir voler au-dessus de l’eau bleue…
Pierre est premier, — le but est proche,… tout à coup
Noré l’a devancé d’une longueur de cou…
Hardi, hop, sous les yeux de Miette, hop, il touche !
Mais au milieu des cris sa jument s’effarouche,
Et Noré tombe au but !… aï ! aï ! Et chacun court…
Mais qui gagne le prix ? — La bête de labour !
Fric, broum ! les tambourins ont sonné la louange !
Quel est le prix ? La montre ? — Eh ! non ! — L’écharpe à frange ?
Eh non ! — C’est ce foulard, flottant comme un drapeau !
Noré vainqueur l’a mis autour de son chapeau,
Et c’est celui que tient Miette, c’est le même !…
Finalement, il faut croire que Noré l’aime.
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