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Abrégé de l'histoire de l'Ukraine

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VIII.
L’Ukraine Occidentale.

Ce n’est pas seulement dans le nord que les populations ukrainiennes du bassin du Dniéper avaient cherché un refuge. Fuyant devant les nomades de la steppe, elles s’étaient aussi retirées, et en plus grande quantité, vers le nord-ouest et vers l’ouest. Là, dans les contrées boisées de la Polissie, de la Volhynie, dans le bassin du Bug, sur les pentes escarpées des Carpathes, elles s’étaient établies durant cette même période, y avaient progressé matériellement et intellectuellement. Cela devient manifeste lorsque tout à coup, vers la fin du XIIe siècle, on entend parler d’Ovroutche, comme d’une ville résidence des plus importantes après Kiev, tandis qu’auparavant ce nom était presque inconnu. A la même époque, la classe des boïards se multiplie dans la Polissie. La Galicie, la Volhynie surgissent aussi : Vladimir de Volhynie, la capitale construite par le prince de ce nom, pour faire concurrence aux vieux centres de Doulibs, de Tcherven et de Bouzsk, prend alors une importance commerciale et intellectuelle, qui attire les étrangers. Halitch, sur le Dniester, dans la contrée même où refluent les émigrants sortis des vieux pays de Tyverts, s’assure une situation proéminente, bien au-dessus des vieilles résidences de Peremychl, de Zvenyhorod, de Terebovl et donne son nom à tout le pays.

Cet afflux de population en Ukraine occidentale, permet à cette dernière de faire face à ses voisins de l’ouest : les Polonais et les Hongrois. Cette contrée occidentale servait déjà depuis longtemps de brandon de discorde entre les princes russes et la Pologne. Probablement les migrations ethniques, le mélange de la population de ces pays frontières avaient fourni de nombreux prétextes à ces luttes. Les trois courants colonisateurs, celui des Slaves orientaux (Ukrainiens), celui des Polonais et celui des Slovaques s’y rencontraient, aussi chacun des trois États : Russie, Pologne et Bohême, aux heures où leur puissance expansive se manifestait, ont toujours voulu s’en rendre maîtres. Les Tchèques s’emparèrent de la contrée de Cracovie, les Polonais de Peremychl et de Tcherven. La première mention qu’on en trouve dans la chronique de Kiev, se rapporte à une expédition faite par Vladimir dans ces contrées et au cours de laquelle il reprit aux Polonais Peremychl, Tcherven et d’autres villes. Les frontières qu’il établit alors devaient s’étendre assez loin vers l’ouest, probablement jusqu’à Cracovie même, ainsi qu’en témoigne le document de la curie pontificale ci-dessus mentionné. Après sa mort, profitant des discordes qui avaient éclaté entre ses fils, le roi de Pologne Boleslav s’empara de nouveau des marches ukrainiennes. Mais la mort de ce dernier ayant donné lieu en Pologne à des dissensions encore plus graves, Iaroslav put non seulement reprendre les territoires en question, mais il assuma la tutelle du prince polonais, à qui il donna sa fille. Les siècles postérieurs virent tantôt les Russes, tantôt les Polonais y prendre la haute main.

Iaroslav avait donné la Galicie à un de ses premiers fils, qui d’ailleurs mourut bientôt. Les frères de ce dernier tentèrent de s’approprier ce domaine et de le réunir à la Volhynie. Ce ne furent que les petits-fils de ce premier prince de Galicie qui parvinrent à reprendre ce pays et, instruits par l’expérience, ils prirent bien soin de ne laisser aucun prince de la dynastie Kiévienne se consolider en Volhynie.

Ayant à se défendre, d’un côté contre les Polonais, de l’autre contre les Magyares qui, maîtres du versant méridional des Carpathes, manifestèrent l’intention, vers la fin du XIe siècle, de mettre aussi la main sur le versant septentrional, les princes de Galicie cherchèrent des alliances dans les contrées éloignées, chez les princes grands russiens de Souzdal et Vladimir, à Byzance et même plus tard auprès du pape, alors qu’il s’agissait de se tenir en garde contre les princes de Volhynie, leurs plus proches voisins.

Comme la dynastie n’était pas nombreuse, le pays ne connut guère les querelles intestines, il jouit longtemps de la tranquillité, se peupla, s’enrichit, ce qui donna à ses princes, vers le XIIe siècle, une importance assez considérable et leur permit d’étendre leur influence. Mais, vers la fin de ce siècle, la dynastie s’éteignit. Roman, prince de Volhynie, homme très énergique, resté célèbre par ses guerres contre les Kyptchaks et la façon dont il mata ses boïards, réunit sous son sceptre la Galicie et la majeure partie de la Volhynie. Mais il périt bientôt (en 1205) dans une de ses expéditions contre la Pologne. Les boïards galiciens, qui n’avaient subi qu’avec peine son autorité, voulurent secouer le joug de sa dynastie, soit en soutenant d’autres prétendants, soit en se mettant sous la protection des rois de Hongrie. Il y eut un moment où l’on crut réalisé le partage des pays ukrainiens, qui ne devait s’effectuer que plus tard, entre la Pologne et la Hongrie : le fils d’André, roi de Hongrie, épousa la fille du prince polonais et fut couronné roi de Galicie à Halitch, tandis que les contrées situées dans le bassin du Bog étaient réunies à la Pologne. Les fils de Roman durent se contenter du pays de Vladimir en Volhynie. Mais cette combinaison ne tarda pas à s’écrouler : les fils de Roman, Danilo et Vassilko, dès qu’ils eurent atteint leur majorité, reprirent possession de la Galicie et de la Volhynie. De cette façon se forma en Ukraine occidentale, vers 1240, un puissant état, qui s’étendait de Sloutche jusqu’à Vislolka vers l’ouest et jusqu’à Dorohitchine et Bilsk dans le nord. Le partage entre Danilo et Vassilko ne porta aucun préjudice à l’état, parce que les deux frères restèrent étroitement unis.

Dans le même temps, les pays de Kiev étaient ruinés par les guerres incessantes que se faisaient les prétendants, les pays de Tchernihiv s’émiettaient en une foule de petites principautés, et les pays de Pereïaslav s’épuisaient sous les dévastations des Kiptchaks. Aussi les contrées tranquilles de la Galicie offraient-elles un refuge tout indiqué aux autres ukrainiens ayant besoin de sûreté ou de protection ou tout simplement en quête de gain : ecclésiastiques, hommes de lettres, artistes et artisans, marchands, tous y affluèrent, y apportant les lettres et les arts, ou vinrent y mettre leur fortune en sûreté, pour le plus grand bien du pays, qui s’enrichit ainsi sous les princes de Galicie et de Volhynie, patrons éclairés des lettres et des arts, qui ne manquaient aucune occasion de s’approprier les monuments de l’ancienne littérature et de l’art des provinces orientales. Surtout Vladimir, fils de Vassilko, acquit le renom « de grand lettré et de philosophe, tel qu’on n’en a jamais vu dans tous les pays russes et tel qu’on n’en verra plus après lui » d’après l’expression du chroniqueur écrivant à sa cour. Malade et infirme, il s’appliqua avec passion à collectionner des livres, il les recopia, il fit construire des églises, les dota, les orna d’œuvres d’art et y entassa les livres.

Les traditions littéraires et artistiques de Kiev s’implantèrent dans le royaume de Galicie et de Volhynie, où elles se continuèrent, s’y combinèrent de plus en plus avec les courants intellectuels venus de l’Occident. Ce qui caractérisera au cours de l’histoire la vie intellectuelle de ce royaume, c’est qu’ici les relations avec l’Allemagne, et par son intermédiaire, avec l’Italie, seront beaucoup plus actives ; l’influence de l’occident catholique, qu’elle lui vienne par la Pologne ou par la Hongrie, se fera beaucoup plus sentir que dans l’Ukraine orientale, plus éloignée et plus profondément pénétrée des traditions byzantines et orientales. Ici l’intelligence ukrainienne s’enrichira au contact de l’occident. Malheureusement l’invasion mongole va se déverser sur l’Ukraine, empêchera cette civilisation nouvelle de se répandre vers l’est et retardera ainsi la formation de l’unité ukrainienne.

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