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Abrégé de l'histoire de l'Ukraine

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XXI.
Les relations ukraino-polonaises entre 1620 et 1640. L’insurrection de Bohdan Chmelnytsky.

Sahaïdatchny mourut bientôt après la campagne de 1621 contre les Turcs, des blessures qu’il avait reçues. Ce fut une grande perte pour les Ukrainiens, dont la situation avait empiré. Le gouvernement polonais, après avoir fait la paix avec la Turquie et la Moscovie, n’avait plus guère besoin des cosaques et les magnats, poussés par le désir de renforcer leurs droits sur leurs sujets en Ukraine, s’appliquaient à faire limiter les privilèges des organisations cosaques. Le roi, qui en voulait à ces dernières à cause de la résistance qu’elles opposaient à l’union des églises, ne reconnut décidément pas la hiérarchie orthodoxe.

De là naquirent deux grandes guerres : celle de 1625 et celle de 1630. Dans la première, les cosaques attaqués à l’improviste par les Polonais durent faire des concessions, mais dans la seconde la Pologne battue fut forcée de reconnaître le status possidendi de ses adversaires : on augmenta le nombre des cosaques inscrits qui devaient jouir de tous les privilèges et on leur laissa la faculté de résider non seulement sur les domaines royaux, mais aussi sur les terres des seigneurs. Néanmoins les rapports restèrent tendus.

Le haut clergé de Kiev, mécontent de n’avoir pas vu sa situation régularisée, se tourna vers la Moscovie, qui commençait à se relever après une longue période de troubles et de guerres intestines. En 1625, le métropolite Boretsky, d’accord avec les cosaques, envoya une délégation au tzar pour le persuader de prendre les cosaques sous sa protection et d’entrer dans une ligue projetée entre la Crimée, les peuples chrétiens des Balkans et l’Ukraine, contre la Pologne et la Turquie. La Moscovie toutefois ne se sentit pas encore assez forte pour rompre avec la Pologne, mais ce rapprochement constituait une menace pour la politique polonaise.

Lorsque le roi Sigismond III Vasa mourut en 1632, son successeur Vladislav, moins rigoureux dans les affaires religieuses, jugea bon de transiger sur ce point avec les cosaques, pour les détacher de la Moscovie et les gagner aux vastes projets qu’il méditait, en corrélation avec la guerre de trente ans. Cependant le gouvernement polonais ne ratifia pas la nomination des évêques qu’il considérait comme trop arbitraire, pas plus qu’il n’alla jusqu’à abolir l’union et à restaurer l’église orthodoxe ad integrum. Il consentit seulement à ce que les orthodoxes élussent de nouveaux candidats, bien vus du gouvernement, pour le poste de métropolite et pour quelques évêchés, à charge d’en demander la ratification au roi et, de fait, les évêchés aussi bien que les monastères furent partagés entre les églises orthodoxe et uniate, qui devaient continuer à exister parallèlement.

Il fallut en passer par là : on élut comme métropolite un membre de la famille palatinale de Moldavie, Pierre Mohila, qui avait donné au gouvernement des gages de sa loyauté. A peine installé, il se mit avec ardeur à l’œuvre pour réorganiser l’église ukrainienne ; il prit une place prépondérante dans l’activité littéraire de son temps et contribua beaucoup à la restauration de l’église orthodoxe, mais en se guidant sur les anciens principes canoniques, au lieu de s’inspirer de l’esprit national et démocratique qui avait soutenu l’orthodoxie pendant le dernier siècle. En conséquence, les confréries perdirent leur influence et les liens qui unissaient le clergé et les cosaques se relâchèrent. Les dignitaires ecclésiastiques s’efforcèrent de se montrer loyaux envers le gouvernement, de sorte que, dans cette direction, la politique de Vladislas atteignit singulièrement son but.

Il n’en fut pas de même en ce qui concerne l’armée cosaque, car on ne put aboutir à une entente solide. Les grands projets militaires que nourrissait Vladislas furent réduits à néant par la mauvaise volonté de la noblesse, qui préférait à la guerre de s’enrichir paisiblement, principalement en Ukraine. Les seigneurs qui y possédaient des terres étaient particulièrement intéressés à ce qu’aucune guerre ne vînt leur enlever les cosaques non enregistrés, à qui le gouvernement n’aurait pas manqué de faire appel. C’est pourquoi les grands exercèrent un strict contrôle sur la politique extérieure de Vladislas et eurent soin d’aplanir tous les malentendus qui auraient pu lui servir de prétextes pour entrer en campagne. L’armée polonaise ainsi inoccupée restait à leur disposition pour surveiller l’organisation cosaque et faire observer les règlements qui n’étaient plus que lettre morte dès que l’appel du roi se faisait entendre. Quoique pour le présent le roi restât muet, et pour cause, tous ceux qui se disaient cosaques voulaient jouir de leurs droits, et c’était par dizaines de mille qu’on comptait les familles de ce genre en Ukraine, alors qu’il n’y avait que 6000 personnes de régulièrement enregistrées. De là des conflits continuels.

Pour mettre un terme aux incursions des cosaques sur les rives de la Mer Noire, qui provoquaient à tout instant des conflits avec la Porte, les autorités militaires polonaises réalisèrent un ancien projet : on construisit sur le Dniéper la forteresse de Kodak, près de la cataracte du même nom et on y installa une garnison chargée d’exercer sur les retraites Zaporogues un contrôle d’autant plus désagréable pour les cosaques qu’ils se croyaient à l’abri.

Il résulta de toutes ces intrusions un mécontentement qui se manifesta d’abord par des rébellions sans trop d’importance, mais qui finit par amener de 1637 à 1638 une véritable guerre, qui dépassa en gravité tout ce qui l’avait précédée. Les cosaques firent appel aux intérêts nationaux et religieux et ils soulevèrent des masses considérables de la population, qui s’était entre temps énormément multipliée en Ukraine orientale. La campagne de 1637 eut pour champ de bataille la rive droite du Dniéper, entre Tcherkassy et Tchyhyryne. La victoire favorisa les Polonais, qui se mirent ensuite à infliger des châtiments atroces pour amener « l’apaisement de la population ». Au printemps les hostilités reprirent de plus belle, cette fois sur la rive gauche du fleuve, car les cosaques puisaient leurs ressources dans les colonies récentes, qui s’étaient développées dans la décade précédente près de la frontière moscovite.

Cette campagne dura plusieurs mois sous des chefs et sur des terrains différents. En fin de compte les cosaques furent vaincus, grâce au manque de coordination de leurs forces et ils émigrèrent en masse, accompagnés d’une nombreuse population qui avait pris part à l’insurrection, par delà les frontières moscovites. C’est pendant cette décade, que se répandit la colonisation ukrainienne sur les vastes espaces des bassins du Donets et du Don. Chaque insurrection y jetait des quantités de cosaques et de paysans, qui fuyaient le joug des seigneurs. De cette manière se forma l’Ukraine « sloboidska » dont nous avons déjà parlé et qui comprenait le territoire de la province actuelle de Charkov et une partie des provinces limitrophes de Koursk et de Voronège.

L’issue de cette guerre permit au gouvernement polonais de faire rentrer l’organisation cosaque dans les cadres du règlement. On ne garda que six régiments de cosaques, comprenant chacun 1000 hommes, et encore beaucoup de polonais y furent introduits. La population non-enregistrée dut se soumettre aux seigneurs et aux fonctionnaires de l’état. L’exploitation rurale des grands propriétaires se fit sur une grande échelle. Citadins et paysans furent réduits à « l’obéissance ». Les troupes polonaises campées en Ukraine y assurèrent l’ordre. Même les postes les plus élevés dans l’armée cosaque furent donnés à des polonais.

Cet état de choses dura près de dix ans (1638 à 1647). Cependant il ne pouvait se maintenir que grâce à l’accalmie politique, au « calme d’or », comme l’appelaient les seigneurs, qui prenaient jalousement soin que rien ne vînt le troubler. Mais le mécontentement était grand, la tension extrême, il ne fallait qu’une étincelle pour provoquer l’explosion. Le roi Vladislas la fit jaillir.

Ce prince ne pouvait se faire à la vie inactive que lui imposait le « calme d’or », aussi entra-t-il, à l’insu de ses ministres, en négociations avec Venise pour préparer une guerre contre la Turquie. Les cosaques devaient la provoquer. Leurs chefs, mis dans le secret, reçurent des subsides pour construire une flotte, en même temps que des lettres du roi les engageaient à doubler leurs contingents. Mais, connaissant les dispositions des sphères gouvernementales, ils n’osèrent pas exécuter ces ordres. Un différend qui éclata entre le commandant de la sotnia de Tchyhyryne, Bohdan Chmelnytsky et le vice-gouverneur de l’endroit, mit le feu aux poudres. Chmelnytsky, pour inciter les cosaques à l’insurrection, se servit des lettres du roi, tenues secrètes par leurs chefs.

Le mouvement gagna rapidement. Dans l’hiver de 1647–48, il rassembla dans les camps de Zaporoguie un nombre considérable de cosaques, animés du désir de rétablir les anciennes libertés, il chassa avec leur aide la garnison des cosaques enregistrés établie à Sitch et noua des relations avec la Crimée, pour entreprendre de concert une guerre contre la Pologne. Cette fois il eut la chance de réussir. Déjà dans leurs insurrections précédentes les cosaques s’étaient adressés plusieurs fois au Khan avec de pareilles propositions sans aboutir à aucun résultat. Mais le chef des hordes, poussé par la famine qui désolait la Crimée et des troubles intérieurs, envoya à Chmelnytsky un fort détachement de Tartares, qui, d’abord, se contenta d’observer les opérations, puis finit par y prendre part quand le succès sembla répondre à l’attente.

La nouvelle qu’une armée de cosaques s’était rassemblée dans la Zaporoguie contre le régime polonais se répandit comme une traînée de poudre dans tout le bassin du Dniéper. L’hetman des troupes polonaises, Nicolas Potocky, se hâta d’y envoyer toutes les forces à sa disposition pour prévenir l’insurrection. Pour son malheur, il divisa ses troupes et en jeta une partie en avant sous le commandement de son fils. Chmelnytsky, avec l’aide des Tartares, anéantit d’abord cette avant-garde, qui s’était imprudemment engagée dans les steppes et puis battit à plat le gros de l’armée, près de la petite ville de Korsoun, au mois de mai 1648. Tous les chefs polonais tombèrent entre ses mains, la Pologne complètement désarmée se trouva en face d’une insurrection formidable. Tout le bassin du Dniéper se souleva ; les insurgés dévastèrent les demeures des seigneurs, massacrèrent leurs serviteurs, les Polonais et les Israélites.

Pour comble de malheur, mourut sur ces entrefaites le roi Vladislas, très populaire chez les cosaques, qui s’étaient soulevés convaincus qu’ils répondaient à son appel pour l’aider contre les usurpations des seigneurs. Il se produisit alors une situation, à laquelle ni les sphères gouvernementales, ni les chefs de l’insurrection n’étaient préparés.

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