Abrégé de l'histoire de l'Ukraine
XI.
La lutte pour s’emparer de la Galicie
et de la Volhynie. — L’union de 1385.
La guerre, ravivée par l’expédition de Casimir en 1349, devait durer plus de trente ans. Lubarte, aidé de ses parents, les princes lithuaniens, essaya de reprendre la Galicie. Mais alors se manifesta l’impuissance du nouvel état et de tout le système lithuanien en général, qui, malgré sa grande étendue, n’était pas capable de fournir une action militaire vigoureuse. Sa force consistait dans la sympathie des peuples, dans l’absence d’opposition sérieuse, mais dès qu’il rencontrait une résistance plus forte, comme il s’en produisait surtout à la périphérie, il était incapable de la surmonter. Engagés au nord dans des guerres continuelles avec les Allemands, ce n’était que rarement que les princes lithuaniens pouvaient faire sentir ailleurs le poids de leur force. Contre la Pologne, ils étaient soutenus par les Tartares et ils réussirent de temps à autre à porter à cet état des coups sensibles. Mais, dans la deuxième moitié du XIVe siècle, leur expansion dans les pays ukrainiens, qui avaient été autrefois soumis à la domination du Khan, troubla les bonnes relations qu’ils entretenaient avec ce dernier.
Entre 1350 et 1360, Olguerd, fils de Ghedemine, grand-duc de Lithuanie, après être intervenu dans les affaires de l’état de Smolensk, s’empara d’abord de la principauté de Briansk, dans le nord de l’ancienne principauté de Tchernihiv et se rendit maître ensuite des principautés méridionales. A Tchernihiv, à Novhorod-Siversky et à Starodoub, des princes lithuaniens montèrent sur le trône ; dans les domaines de moindre importance les princes de l’ancienne dynastie continuèrent à régner sous leur protection. A peu près à cette époque, vers 1360, Olguerd plaça sur le trône de Kiev un de ses fils, après avoir détrôné le prince local, qui était vassal des Tartares. Ainsi les vastes territoires sur les deux rives du Dniéper, qui avaient autrefois fait partie de l’ancienne principauté de Kiev et de Péréïaslav, bien ruinés et bien dépeuplés, il est vrai, sous la domination tartare, d’ailleurs en décadence, passèrent-elles aux mains des lithuaniens. L’armée tartare s’avança bien au secours de Kiev, mais, impuissante et désorganisée, elle fut mise en déroute par Olguerd qui, non content de mettre la main sur les parties méridionales du pays de Kiev, s’empara encore de la Podolie, où les populations vivaient depuis longtemps sous la suzeraineté directe du Khan. Les neveux d’Olguerd s’y installèrent dans les villes et se mirent à y édifier des forteresses autour desquelles se ramassèrent les populations dispersées par l’anarchie des hordes.
De cette façon, dans la deuxième moitié du XIVe siècle, la plus grande partie des territoires ukrainiens se trouva sous la domination des princes lithuaniens, qui n’en eurent que plus d’envie de s’emparer de la Galicie et de la Volhynie, où s’était concentrée la vie économique, intellectuelle et ecclésiastique ukrainienne, depuis que l’émigration avait laissé dans un état arriéré les pays situés plus à l’est. Mais ayant perdu l’appui des Tartares à la suite même de ces conflits, ils ne furent plus en état d’arracher la Galicie aux Polonais. Aussi, quoique les sympathies de la population fussent de son côté, Lubarte ne put jamais s’emparer de ce pays, conquis grâce à l’union de la Hongrie avec la Pologne.
Casimir, et aussi son successeur sur le trône de Pologne, Louis d’Anjou, disposaient des forces réunies de ces deux états ; ils jouissaient de l’appui du pape, à qui l’on avait promis d’établir des évêchés catholiques dans les pays ukrainiens conquis, enfin, en combinant leurs opérations avec celles des Allemands de Prusse et de Livonie, avec lesquels ils avaient conclu une entente formelle, ils voulurent tenter d’enlever à Lubarte même la Volhynie. Ils y réussirent à plusieurs reprises : Kholm, Belz et même Vladimir changèrent plusieurs fois de mains. Bientôt il ne resta plus à Lubarte que la région méridionale de la Volhynie (Loutsk).
Cependant des difficultés dynastiques vinrent troubler l’union hungro-polonaise, qui s’était accomplie, sous Casimir, en vertu du traité ci-dessus mentionné.
Louis, pas plus que Casimir, n’avait d’héritier mâle, ce qui rendait bien précaire l’union personnelle des deux états. Sans se rendre bien compte de la portée de son action, il voulut réunir la Galicie à la Hongrie et y installa des garnisons hongroises. Les magnats polonais, qui gouvernaient la Pologne en son nom, s’en offusquèrent. Ils élurent comme reine de Pologne une des filles de Louis et non point celle qui avait été désignée pour lui succéder en Hongrie, puis ils décidèrent de s’allier à la Lithuanie, où régnait le jeune fils d’Olguerd, Iagaïl (Jagellon). Ils lui offrirent la main de leur reine et la couronne, à condition qu’il consentît à incorporer à la dite couronne tous les pays lithuaniens et ukrainiens sur lesquels il régnait. Iagaïl accéda à ces conditions et un traité fut conclu, en 1385, à Krevo, ville de Lithuanie, entre lui et la délégation polonaise, par lequel il s’engageait à quitter la religion orthodoxe et se faire catholique, à faire baptiser la partie de la population lithuaniene, qui ne l’était point encore et, ce qui est plus important, à « unir à perpétuité à la couronne de Pologne les pays lithuaniens et russes ».
Ce traité mettait fin tout d’un coup à la compétition entre la Lithuanie et la « couronne de Pologne » pour s’approprier les pays ukrainiens et, en même temps, il allait permettre à l’influence polonaise, politique et intellectuelle, de se faire sentir sans restriction sur tous ces territoires, élargissant de beaucoup la sphère d’influence créée par l’occupation de Casimir. C’était le point de départ d’une orientation nouvelle de la vie sociale, morale et politique ukrainienne, qui devait déterminer son évolution pour toute une série de siècles. Il est même permis d’affirmer que la « période polonaise » dans la vie et l’histoire d’une partie considérable de l’Ukraine, n’est pas encore achevée aujourd’hui.
La première conséquence du traité fut la réoccupation de la Galicie par la Pologne : les magnats, à l’aide des troupes lithuaniennes, chassèrent les garnisons hongroises et rétablirent partout l’administration polonaise. La Hongrie essaya bien de protester, mais elle se trouvait justement dans une situation politique difficile, qui ne lui permettait pas d’entamer une lutte à main armée pour le moment. Ses « droits historiques » sur la Galicie devaient rester inopérants pendant quatre siècles, lorsqu’ils servirent de prétexte juridique, d’une façon bien inattendue du reste, lors du partage de la Pologne, pour faire incorporer cette contrée — à l’Autriche.
Quant aux autres pays ukrainiens, placés sous la suzeraineté ou le protectorat lithuaniens, la nouvelle union faillit n’y pas réussir dès le début. Les droits reconnus par Iagaïl aux Polonais furent interprétés par eux dans ce sens que dorénavant le grand-duché de Lithuanie n’existait plus et que par conséquent, tous les états vassaux, qui en dépendaient, devaient être placés sous le gouvernement immédiat de la Pologne. Ces prétentions provoquèrent dans le grand-duché une vive alarme et une tempête de protestations. Vitovte, cousin de Iagaïl et son ancien rival, profitant du mécontentement général, se proclama grand-duc et s’apprêta à engager contre lui une lutte décisive.
Mais en ce moment même les Tartares lui infligeaient sur la Vorskla (1399) une terrible défaite, qui l’obligea d’accepter un compromis avec Iagaïl et les Polonais. Le principe de l’union se trouva sauvé, mais il reçut d’importantes restrictions pratiques, en ce qui concerne la Lithuanie, par les traités subséquents (1401–1413). Cet état demeura indépendant de fait, sous le gouvernement de son grand-duc, qui, tout en reconnaissant sa vassalité envers le roi de Pologne, n’en conservait pas moins sa pleine souveraineté, de sorte que les pays de l’Ukraine orientale ne se trouvèrent pas soumis directement à la Pologne.