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Abrégé de l'histoire de l'Ukraine

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XII.
Conséquences de l’Union.

La question de l’union et la réalisation probable du projet polonais d’incorporer vraiment les pays « lithuaniens et russes » (blancs-russiens et ukrainiens) à « la couronne de Pologne » ne laissèrent pas d’atteindre sérieusement les intérêts des populations indigènes, qui habitaient ces contrées. Le sort de la Galicie et de la Volhynie sous la domination polonaise faisait prévoir les changements qu’auraient à subir les autres pays au cas où ils tomberaient sous le même joug.

Sous le sceptre des princes lithuaniens la vie nationale se continuait dans les formes léguées par le royaume de Kiev. Les nouveaux maîtres suivaient en général la ligne de conduite adoptée par les grands ducs envers leurs sujets slaves : « ne touchons pas aux vieilles coutumes, n’en introduisons pas de nouvelles ». Il va sans dire que le nouveau système politique, surtout les besoins de la défense, nécessitaient dans la pratique des changements considérables dans le domaine juridique et social (organisation du régime des terres, fondement juridique du droit de possession, etc.). Mais là où les raisons d’état n’imposaient point de changement, les autorités centrales et locales s’efforçaient de conserver les anciennes formes et de les développer en les adaptant aux nouvelles conditions.

Cela est surtout apparent dans les mœurs et la vie intellectuelle et religieuse. L’ancienne langue, formée par l’usage de Kiev, plus ou moins teintée de provincialisme, sert toujours d’instrument à la vie pratique et administrative. Elle est même passée dans la pratique administrative des pays purement lithuaniens, à défaut d’une langue littéraire indigène. La religion orthodoxe continue à jouir de la faveur des autorités comme religion d’état. Les nouveaux princes et les seigneurs lithuaniens, qui s’installent dans les pays blanc-russiens et ukrainiens, adoptent les mœurs locales dans leur vie privée, ils comblent de bienfaits les cathédrales et les monastères célèbres, ils en fondent de nouveaux, ils protègent les arts et les lettres dans leurs formes traditionnelles.

De même dans la législation se conservaient les anciens principes du droit kiévien, du « droit russe ». On peut le voir dans les privilèges territoriaux accordés postérieurement aux ukrainiens et blanc-russiens ou dans le statut Lithuanien de l’an 1529. On y remarque que les anciennes coutumes de Kiev sont passées dans la pratique judiciaire et administrative dans ces contrées fort éloignées de la vieille capitale. Cela s’explique, entre autre, par la coutume généralement suivie de ne nommer aux fonctions administratives que des personnages ou boïards indigènes, qui conservaient pieusement les usages de l’ancien droit. Dans quelques contrées la coutume s’était même établie, que les familles seigneuriales du pays avaient à remplir à tour de rôle, pendant une ou deux années, les fonctions administratives les plus importantes.

Cet état de choses fut sérieusement ébranlé à l’avènement de Vitovte. Après avoir obtenu de Iagaïl la reconnaissance de ses droits sur le grand-duché, ce prince évinça les diverses dynasties locales et plaça leurs domaines sous l’administration directe du pouvoir central. Les gouverneurs qui remplacèrent les princes déjà assimilés par l’élément local, ne se crurent pas obligés, après l’union de 1385, de protéger ni l’église orthodoxe, ni les vieilles traditions kiéviennes. Cependant il ne parut pas admissible de changer les anciennes coutumes du pays ; c’est la raison des diverses chartes et privilèges, qui furent octroyés pour en prévenir la violation. Les plus anciens d’entre eux datent de l’abolition du pouvoir princier. Le pays retenait une certaine autonomie et des fonctionnaires indigènes. De cette façon les modifications dans la juridiction, l’administration et les coutumes ne s’introduisirent que graduellement, surtout au premier siècle, dans les états dépendant du grand-duché de Lithuanie.

Il en était autrement dans les contrées soumises à la couronne de Pologne. Dès sa première occupation, Casimir avait pris à tâche d’affaiblir le plus possible l’autorité des seigneurs et ses successeurs continuèrent cette politique. On confisqua les terres des boïards, qui s’étaient opposés à l’occupation et on les distribua, ainsi que toutes celles qui se trouvaient à la disposition du roi, à des polonais ou à des étrangers, sur la fidélité desquels le gouvernement pouvait compter. Des colonies privilégiées furent établies dans les villes. Les hautes fonctions administratives furent données à des étrangers. Partout la langue latine et le feudalisme germano-polonais s’introduisirent avant même d’être formellement sanctionnés par la loi. Enfin on laissa vacantes les hautes charges ecclésiastiques, dans l’intention d’y installer plus tard le clergé catholique et de remplacer ainsi la religion orthodoxe par l’église de Rome.

L’assimilation des provinces ukrainiennes aux contrées polonaises fut formellement consacrée, après la mort d’Iagaïl, par un rescrit de 1434. Mais il fallut un siècle pour compléter l’abaissement des classes supérieures ukrainiennes, supprimer leur civilisation et la hiérarchie ecclésiastique. La vie nationale se conserva dans les classes inférieures surtout parmi les artisans des villes, le bas clergé et la petite noblesse. C’était évidemment un coup funeste, car, depuis deux siècles, la Galicie et la Volhynie avaient été le foyer principal de la civilisation ukrainienne.

De pareils exemples de la domination polonaise fournissaient aux populations du grand-duché les meilleures raisons pour tenir à leur existence séparée. Les seigneurs de l’ancienne dynastie ukrainienne et blanc-russienne, ceux beaucoup plus nombreux de la nouvelle dynastie lithuanienne, l’aristocratie, le clergé, les habitants des villes, tous étaient prêts à soutenir quiconque voulait rompre une lance contre les champions d’une union plus étroite avec la Pologne. Les princes surtout — comme le frère d’Iagaïl, Svidrigaïl par exemple — qui nourrissaient l’espoir d’assister à un retour aux anciens principes de la politique lithuanienne, pouvaient compter sur le concours efficace des populations slaves. L’aristocratie lithuanienne prenait une attitude moins tranchée : elle ne souhaitait ni l’incorporation complète à la Pologne, ni la rupture de l’union, car l’union donnait dans le grand-duché une situation prépondérante à l’élément lithuanien catholique sur l’élément orthodoxe blanc-russien et ukrainien, qui désirait la séparation complète. Et comme les aspirations expansives de la Pologne vers l’est étaient soutenues par le pape et par les puissances catholiques, l’aristocratie orthodoxe du grand-duché de Lithuanie se mit à chercher des amis chez les Moscovites et chez les Moldaves.

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