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L'évolution actuelle du monde: illusions et réalités

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CHAPITRE III
LES GUERRES RÉSULTANT D’UN EXCÉDENT DE POPULATION

Il n’existe pas de peuple plus convaincu de la puissance des lois que les Latins. Il en existe peu qui les respectent moins.

C’est justement parce qu’ils sont persuadés du pouvoir des lois que les Latins en accumulent sans cesse et c’est parce que l’expérience leur montre l’impuissance des lois, qu’ils ne les respectent pas longtemps.

Les lois reconnues inefficaces se trouvent bientôt remplacées par d’autres, chargées des mêmes espérances, et nos parlements resteront des machines à légiférer jusqu’au jour où on découvrira que les lois utiles naissent des nécessités et des coutumes, mais ne les précèdent pas.

Si les lois n’ont qu’un pouvoir constructeur bien faible et demeurent incapables de refaire les sociétés — contrairement aux convictions de certains partis politiques, — elles peuvent exercer une action destructrice très grande. C’est ainsi, par exemple, que la loi de huit heures dans la marine rendait notre commerce extérieur de plus en plus impuissant à lutter contre la concurrence étrangère, et l’eût finalement anéanti si cette loi n’avait été abrogée. C’est ainsi également que les décrets sur les loyers ont paralysé la construction d’habitations nouvelles et rendu plus aiguë une crise à laquelle ces décrets prétendaient remédier. C’est ainsi encore que les lois proposées par les socialistes contre le capital, la propriété et l’industrie, ont déterminé rapidement la fuite des capitaux à l’étranger, provoqué une baisse considérable de la valeur du franc et, par voie de conséquence, un nouvel accroissement du prix de la vie.


Le problème de la natalité, qui passionne aujourd’hui tant d’esprits en France, va nous fournir un nouvel exemple des illusions sur la puissance attribuée aux lois.

Chacun sait que le chiffre de la population française reste à peu près stationnaire. On formerait une bibliothèque avec la collection des discours, conférences et règlements destinés à augmenter ce chiffre.

Les propositions des réformateurs se ramènent le plus souvent à établir des impôts sur les célibataires au profit des familles nombreuses. Une des plus typiques de ces suggestions est celle de l’académicien Émile Picard que ses méditations prolongées conduisirent à proposer un impôt spécial aux dépens des individus n’ayant pas trois enfants et au profit des familles qui les possèdent.

Le simplisme déconcertant de telles conceptions prouve à quel point le problème de la natalité reste incompris.


Étant données les causes profondes des variations de la natalité, on peut considérer comme certain que les lois et discours formulés depuis vingt-cinq ans n’ont accru nulle part le chiffre de la population.

Il faut se féliciter de cet insuccès. En étudiant la question de plus près, les économistes ont fini par découvrir que la plupart des pays de l’Europe présentaient des excédents de population. Un des plus savants d’entre eux, M. Keynes, a très justement fait observer :

« Qu’avant la guerre, l’Europe était déjà beaucoup trop peuplée et se procurait de plus en plus difficilement les moyens de subsistance, et encore grâce aux ressources de moins en moins abondantes du nouveau monde. Aujourd’hui, la capacité de production des peuples est si réduite qu’on peut affirmer que l’Europe possède un excédent d’habitants qu’elle ne pourra bientôt plus nourrir. »

Plusieurs peuples européens sont déjà fort gênés par leur surcroît de population. L’Angleterre a quinze cent mille chômeurs ; l’Allemagne, un million sept cent mille ; l’Italie, dont la population augmente de plus d’un demi-million par an, ne saura bientôt, comme l’a fait observer M. Mussolini, où déverser l’excédent de ses habitants.

La difficulté sera d’autant plus grande que les pays étrangers se ferment chaque jour davantage. Les États-Unis ont déjà réduit à quatre mille cinq cents par an le chiffre des émigrés dont ils toléreront l’entrée. Les républiques de l’Amérique du Sud se coalisent aussi, maintenant, pour empêcher l’immigration.

Plusieurs nations considéreraient volontiers qu’un excédent de population leur constituerait un droit à s’emparer des colonies pour y verser cet excédent. Le journal anglais Observer du 12 décembre 1926 a fait à ce propos les très justes réflexions suivantes :

« Aucun pays n’est fondé, du simple fait d’une natalité très forte, à s’emparer de territoires appartenant à autrui. Du point de vue philosophique, la thèse qu’il convient de limiter une natalité trop forte est tout aussi valable que celle qui soutient que les annexions forcées sont justifiables dans le cas d’une race qui se plaît à produire un excédent biologique. Nous vivons à une époque où le nombre seul compte de moins en moins. »

La justesse de cette dernière réflexion sur le rôle moderne du nombre reste assez contestable. Il est possible que le nombre devrait compter de moins en moins mais, en réalité, il compte souvent de plus en plus.


Les Asiatiques sont également victimes d’une trop intense natalité. Le Japon, qui contenait trente-trois millions d’habitants il y a un demi-siècle, en possède aujourd’hui soixante millions et ne sachant littéralement où placer cet excédent, voudrait forcer les États-Unis, qui s’y refusent, à l’accepter.

Tous les peuples orientaux, dont aucune considération n’a modéré la fécondité, se multiplient avec la même effrayante rapidité. L’Inde est surpeuplée et le serait beaucoup plus encore si des famines qui font périr plusieurs millions d’hommes, comme la célèbre famine d’Orissa, ne ramenaient fréquemment la population à un chiffre en rapport avec ses moyens de subsistance.

La Russie a subi un accroissement analogue : de soixante-cinq millions d’habitants en 1850, elle est passée aujourd’hui à cent soixante-dix millions. Or, d’après les leçons de l’Histoire, dès qu’une population dépasse ses possibilités d’existence il lui faut émigrer ou envahir militairement ses voisins. Ce sont de telles émigrations qui détruisirent en Gaule la civilisation romaine.


L’observation et le raisonnement démontrent facilement que les législateurs sont impuissants à modifier par des décrets les nécessités économiques et psychologiques qui déterminent le mouvement d’une population. Tout ce qu’on peut obtenir, c’est d’arriver, par des mesures hygiéniques convenables, à réduire la mortalité, comme y a réussi l’Allemagne. La mortalité infantile est en effet moitié plus forte en France que dans les pays germaniques.

L’Histoire fournit plusieurs exemples de l’impuissance des lois sur le mouvement de la population. Le plus frappant est celui de l’empereur Auguste, qui, devenu maître du monde, s’imagina être assez fort pour remédier par des mesures draconiennes à la diminution de la population romaine. Elle avait été fortement réduite à la suite des hécatombes engendrées par les guerres sociales qui amenèrent la destruction de la république et son remplacement par des dictateurs couronnés.

C’est en réalité sur des amoncellements de cadavres que s’était édifié l’empire. Les socialistes de l’époque, dont les doctrines ne différaient guère de celles des socialistes modernes, n’étaient pas plus tendres que ces derniers. Cinquante ans de luttes intestines avaient considérablement réduit la population romaine. A lui seul, Sylla avait fait massacrer plus de vingt-cinq mille citoyens. Marius, chef du parti populaire, avait fait égorger par milliers les plus éminents citoyens de Rome, deux cents sénateurs et trois mille chevaliers.

Comprenant très bien les dangers de la dépopulation, Auguste essaya d’accroître le nombre des citoyens par d’impératifs décrets. La loi Julia, par exemple, frappait de peines sévères les célibataires et récompensait d’avantages divers le mariage et la paternité. Les résultats obtenus furent nuls. Rome continua à rester dépeuplée de Romains et peuplée d’étrangers. Ce fut une des causes principales de sa décadence.


La tendance fondamentale de la nature est de faire naître infiniment plus d’êtres qu’elle n’en peut nourrir. Cette fécondité, qui joua un rôle prépondérant dans l’évolution des êtres aux époques géologiques, a exercé une action aussi importante dans d’histoire des peuples.

Devenus trop nombreux pour trouver sur leur sol des moyens de subsistance, ils vont les chercher au dehors. L’histoire de divers pays est surtout celle des invasions qu’ils ont entreprises ou subies.

Quand ces invasions se multiplient, les peuples envahis ne résistent pas longtemps. Malgré toute sa force, la civilisation romaine périt sous un flot d’envahisseurs ne possédant que des rudiments de culture. Les Babyloniens et les Assyriens avait déjà connu un pareil sort.

La fécondité d’un peuple est donc redoutable pour ses voisins. L’Allemagne n’était pas trop peuplée encore, au moment de la guerre, mais elle allait bientôt l’être. Cette surpopulation prochaine était invoquée par ses écrivains pour conseiller l’envahissement des nations voisines. Mais tous les peuples menacés par l’Allemagne s’unirent pour opposer le nombre au nombre. Il en sera sans doute de même dans l’avenir, et c’est pourquoi l’Allemagne hésitera probablement longtemps avant d’entreprendre une nouvelle invasion.


L’insuccès des lois d’Auguste et de ses imitateurs modernes tient à ce principe fondamental, ignoré évidemment des réformateurs, que le mouvement de la population résulte de nécessités supérieures aux volontés des législateurs.

D’une façon générale, on peut dire que les naissances diminuent quand l’enfant devient, comme dans la bourgeoisie actuelle, trop coûteux à élever. Les naissances se multiplient chez les paysans, où l’enfant constitue au contraire une utilité. Chez les ouvriers, la natalité diminue en même temps que la nuptialité augmente, parce que la femme est productive, et que l’enfant apparaît souvent comme un accident gênant et dispendieux.


En dehors des causes particulières qui font varier la natalité dans les diverses classes sociales, on peut dire que la situation économique présente du monde aura bientôt pour résultat une limitation certaine de la population. La surproduction est générale, et générale aussi son inévitable conséquence, le chômage.

On sait que l’Angleterre se procure au dehors, grâce à ses marchandises, la presque totalité de son alimentation. Ne trouvant plus depuis la guerre un sombre suffisant d’acheteurs elle limite ses fabrications et subit un lourd chômage.

Avant que la Grande-Bretagne revienne à son ancienne richesse sa population devra diminuer notablement.

Dans l’évolution actuelle du monde, les pays dont le sol ne pourra pas nourrir ses habitants deviendront fatalement les moins prospères.

Cette destinée ne menace pas la France, puisque son sol produit la presque totalité de ses moyens de subsistance et les produirait entièrement si l’on faisait subir à l’agriculture des perfectionnements analogues à ceux qu’a réalisés l’Allemagne.


La destinée des peuples dont la multiplication est trop rapide se trouve chargée de périls.

Dans un travail récent, l’amiral Rodger, ancien commandant de l’escadre asiatique des États-Unis, déclarait que, « lorsque la population américaine atteindrait deux cents millions, le pays serait forcé de se livrer à des guerres agressives pour donner des territoires nouveaux à ses habitants ». C’est là une application de la vieille loi de Malthus, dont la justesse, bien que souvent contestée, fut toujours vérifiée par l’Histoire.


Comme conclusion de ce qui précède, nous pouvons dire que malgré les lamentations des philanthropes, la France n’a pas à regretter de voir sa population rester stationnaire. Elle possède un nombre presque suffisant d’habitants ; il ne lui en faudrait qu’un peu plus pour éviter l’invasion d’ouvriers étrangers.

Voici plus de vingt-cinq ans que j’ai soutenu ces thèses. Elles paraissaient paradoxales alors, mais les événements en ont montré l’exactitude.

Plusieurs économistes ont fini par arriver aux mêmes conclusions. Je me crois donc fondé à répéter avec l’un d’eux :

« De tous les périls qui menacent l’humanité civilisée, celui de la surpopulation est le plus net, le plus sûr et non le plus lointain ; si bien que toute la question internationale, les guerres possibles de l’avenir et le désarmement tant rêvé en dépendent directement. »

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