L'évolution actuelle du monde: illusions et réalités
LIVRE VI
LES ILLUSIONS SUR L’ORIGINE
ET LA RÉPARTITION DES RICHESSES
CHAPITRE PREMIER
LES ILLUSIONS SUR LA NATURE DU CAPITAL
La haine du régime dit capitaliste est devenue un des éléments fondamentaux du socialisme et du communisme. Leur but principal est de détruire ce régime soit violemment, soit au moyen d’amputations répétées imposées au capital.
Bien que les illusions ne se réfutent guère avec des mots, il ne sera pas inutile de résumer brièvement les idées qu’on peut se faire aujourd’hui sur la nature du capital.
Ce résumé montrera, une fois encore, que l’incompréhension des mots, beaucoup plus peut-être que celle des idées, se trouve à l’origine de bien des mouvements révolutionnaires.
Examinons donc le sens réel du terme capital, l’un des plus chargés d’illusions de l’âge moderne.
Pour les socialistes, le capital résulterait uniquement d’un prélèvement sur le salaire des ouvriers. Son principal rôle serait de constituer des rentes à une catégorie d’exploiteurs qualifiés de capitalistes.
Certaines idées très répandues encore sur le capital correspondent à une phase ancienne d’évolution que les progrès de l’industrie ont fait disparaître depuis longtemps.
Sous sa forme primitive, le capital était représenté par des trésors, l’or notamment, accumulés dans des coffres d’où ils sortaient rarement ; sa valeur restait par conséquent invariable.
Aujourd’hui, le capital est sorti des coffres, et sa grandeur, loin d’être invariable, varie sans cesse. Elle dépend en effet de divers facteurs : l’intelligence entre autres.
J’ai déjà montré dans un précédent ouvrage que la richesse d’un individu ou d’un peuple dépend de la rapidité de circulation du capital dont il dispose. Peu importe que le capital soit minime si, grâce à l’influence des facteurs capacité et travail, sa vitesse de circulation devient considérable.
Cette loi est analogue à celle qui régit en mécanique la grandeur de la force vive. Elle est égale, on le sait, au demi-produit de la masse par le carré de la vitesse. Une balle de masse petite, mais animée d’une grande vitesse, est beaucoup plus pénétrante qu’une balle cent fois plus lourde, mais de faible vitesse.
Cette analogie mécanique doit être introduite dans les définitions de la richesse. L’or enfermé dans un coffre représente une balle de fusil immobilisée. La vitesse seule rend actifs l’or et la balle.
Il faut donc toujours, dans les définitions de la richesse, considérer ces deux facteurs : grandeur du capital et rapidité de sa circulation.
Dans la richesse le facteur vitesse dépend surtout de la capacité : capacité technique de l’ouvrier et surtout capacité de la direction.
Ces notions fondamentales se répandent de plus en plus. Résumant mes explications à ce sujet, M. l’ingénieur en chef Marcel Bloch rappelait, dans un remarquable rapport sur l’organisation des chemins de fer, ma démonstration que l’importance du capital dépend de la vitesse de sa circulation. Un capital relativement modeste, mais à circulation rapide, aura bientôt une grandeur très supérieure à celle d’un capital important mais à faible vitesse de circulation. La vitesse c’est de la richesse. Travailler vite c’est s’enrichir, travailler lentement c’est s’appauvrir.
Dans les trois facteurs dont se compose le capital moderne : l’or, l’intelligence et le travail, l’intelligence est généralement le plus important. On a constaté depuis longtemps, en Amérique surtout, que dans beaucoup d’usines le rendement était au moins doublé en y introduisant le facteur capacité.
Contrairement aux croyances communistes, la capacité intellectuelle, qui dépassait à peine jadis en valeur la capacité manuelle, lui est, aujourd’hui, si supérieure que la seconde ne peut plus rien sans la première.
C’est la capacité intellectuelle qui permet de réaliser les découvertes dont profite l’humanité, alors que la capacité manuelle ne profite guère qu’à chaque travailleur. On a évalué à un tiers du revenu actuel de l’Angleterre la part imputable à la capacité d’une petite élite.
Le capital est devenu aujourd’hui l’élément essentiel de la vie industrielle ; vouloir le réduire par toute une série de mesures vexatoires comme le rêvent les socialistes, c’est méconnaître son rôle prépondérant dans la vie des peuples. Un impôt sur le capital n’a d’autre résultat que d’augmenter le prix des objets et de rendre l’existence plus chère.
Ces notions, un peu abstraites pour des ouvriers latins, sont bien comprises de leurs confrères américains. Plusieurs journaux ont mentionné la pétition signée par des ouvriers pour obtenir qu’un grand constructeur d’automobiles fût exempté des impôts capables de réduire son capital. Les signataires comprenaient parfaitement que ces impôts auraient pour résultat final d’augmenter le prix de vente des automobiles dont un grand nombre d’entre eux étaient acquéreurs.
L’impôt sur le capital n’est qu’une illusion. Création de l’envie et de la haine, il ne ferait qu’appauvrir davantage les classes dont il prétend améliorer le sort.
Les théories socialistes ont été réfutées tant de fois et ont reçu un si clair démenti des expériences tentées dans divers pays, qu’il serait inutile d’y revenir.
Le régime dit capitaliste se modifie, d’ailleurs, chaque jour. Le capital, qui soutient les industries, se diffuse actuellement de plus en plus en un tel nombre de mains qu’il n’y aura bientôt plus d’individus pouvant être qualifiés de grands capitalistes.
A quelques-unes des considérations qui précèdent sur le régime capitaliste, les socialistes répondent que, s’ils veulent supprimer les capitalistes, leur intention n’est nullement de détruire le capital, mais bien de le remettre aux mains de l’État, qui serait alors chargé de la gestion de toutes les industries.
Malheureusement pour cette conception, des expériences cent fois répétées ont prouvé que les produits des industries gérées par l’État, c’est-à-dire par un personnel non intéressé au succès des entreprises, reviennent beaucoup plus cher que ceux dus à l’industrie privée. Le prix de revient des marchandises fabriquées dans les pays étatisés serait tel qu’elles ne pourraient concurrencer à l’étranger les produits dus à l’industrie des pays ayant échappé au régime socialiste. La Russie soviétique en fournit un frappant exemple.
Ne pouvant entrer ici dans l’étude détaillée des questions concernant le capital et la monnaie qui le représente, je me bornerai à résumer en propositions brèves quelques points fondamentaux :
— La valeur d’un capital dépend surtout de la rapidité de sa circulation.
— La richesse d’un peuple ne réside pas dans l’or qu’il possède, moins encore dans des monnaies artificielles sans garantie, fabriquées à volonté. Un peuple est pauvre ou riche, suivant que les produits de son sol, de ses usines, de son commerce, sont inférieurs ou supérieurs à ses besoins.
— Un peuple s’appauvrit lorsqu’il consomme plus qu’il ne produit ; c’est ce qui arrive lorsque les marchandises qu’il fabrique deviennent, par suite de la réduction des heures de travail ou d’autres motifs, trop chères pour être exportées.
— Quand un peuple exporte une quantité de marchandises d’une valeur exactement égale à celle qu’il importe, sa monnaie, fût-elle entièrement fiduciaire, garde le même pouvoir d’achat.
— Lorsqu’un peuple importe plus de marchandises qu’il n’en exporte, et si faute de ressources il est obligé d’effectuer ses paiements en monnaie fiduciaire, cette monnaie subit une perte dépendant du degré de confiance que l’acheteur lui accorde. Les marchandises achetées au dehors augmentant forcément de prix, l’élévation du coût de la vie en sera la conséquence.
— Dans les échanges de marchandises de valeur équivalente, l’or n’intervient que comme unité de compte, sans qu’il soit besoin de le déplacer des caisses où il est conservé.
— Lorsque le débiteur d’un capital de grandeur quelconque dispose d’un temps suffisant, il peut, par le mécanisme de l’amortissement, réduire cette dette, si grande qu’on la suppose, à un chiffre aussi faible qu’on le désire.