L'évolution actuelle du monde: illusions et réalités
LIVRE VIII
ROLE DE LA MONNAIE
DANS L’ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE DU MONDE
CHAPITRE PREMIER
LES FORMES DIVERSES DE LA MONNAIE :
APPARENCES ET RÉALITÉS
La vie de plusieurs peuples européens est suspendue aujourd’hui à leur monnaie. Les questions de change, de stabilisation, etc., profondément ignorées du public il y a quelques années à peine, exercent maintenant une action prépondérante. Souvent mal comprises elles furent l’origine d’erreurs qui firent perdre des centaines de millions à divers États.
Pour jeter un peu de lumière sur un sujet aussi compliqué il faut remonter aux principes très simples d’où les notions accessoires dérivent ; nous allons l’essayer maintenant.
Origines et nature de la monnaie ? — On peut considérer comme monnaie tout objet pouvant servir de moyen d’échange.
Chez les peuples primitifs, des matières fort diverses servent de monnaie. C’est la phase dite du troc, à laquelle reviennent les nations civilisées quand leur ancienne monnaie n’est plus acceptée. Lorsque les marks tombèrent en Allemagne au voisinage de zéro, une foule d’objets : le stère de bois, l’hectolitre de blé, le quintal de charbon, etc., devinrent des unités monétaires servant aux transactions. Les guerriers du temps d’Homère n’opéraient pas autrement lorsqu’ils échangeaient un bœuf contre un bouclier.
Le bœuf resta longtemps une forme de monnaie usuelle, comme l’indiquait l’expression « mettre à quelqu’un un bœuf sur la langue », c’est-à-dire acheter son silence.
Le bœuf, ou des unités analogues, n’étant pas d’un maniement facile, on chercha naturellement une autre marchandise aisée à manier et possédant, en même temps, une certaine valeur sous un faible poids. Des métaux divers, l’or et l’argent notamment, divisés en petits fragments, finirent par devenir la monnaie universelle.
A une époque relativement récente on chercha les moyens d’éviter les transports incommodes de monnaies en les déposant dans les coffres-forts d’établissements spéciaux chargés de les conserver et qui donnaient, en échange, des reçus indiquant que l’or et l’argent déposés seraient rendus immédiatement à toute personne présentant ce reçu de dépôt. Avant la guerre le billet de banque n’était pas autre chose puisqu’il représentait simplement le reçu d’un dépôt remboursable à volonté.
Malgré ses apparences, le nouveau billet de banque à coût forcé, non échangeable contre une valeur métallique, n’a aucune analogie avec l’ancien billet de banque remboursable à vue. Il constitue simplement un titre d’emprunt sans date de remboursement et se trouve comme tous les titres analogues soumis aux fluctuations du change.
Cette créance peut être comparée à un titre de rente dont la seule garantie est la confiance inspirée par l’état émetteur. Son cours varie avec les oscillations de cette confiance. La cote de la Bourse, comme il a été précédemment expliqué représente les arrêts sans appel d’une sorte de tribunal mondial décidant du degré de confiance inspiré par les divers états.
La facilité d’émettre des billets sans garantie métallique permet aux états de créer une source artificielle de richesse momentanée. Mais, à mesure que les émissions augmentent, phénomène qualifié d’inflation, la confiance diminue et la valeur des billets émis descend rapidement vers zéro, comme l’Allemagne en fit l’expérience.
L’inflation continue aboutit donc à la ruine, comme le ferait, d’ailleurs, la répétition d’emprunts quelconques.
Mais si l’expérience prouve que l’inflation prolongée se termine toujours par la ruine, elle montre aussi que cette inflation peut rendre momentanément de grands services à un pays.
C’est grâce, en effet, à l’emploi prolongé de billets de banque à cours forcé que l’Angleterre put se procurer les ressources nécessaires pour combattre Napoléon. Plus heureux que nos billets modernes, les billets anglais ne perdirent jamais plus de 50 p. 100 de leur cours et, après la guerre, ils purent être bientôt remboursés au pair.
Ce fut également avec le mark à cours forcé que les Allemands reconstruisirent leur flotte, bâtirent de grandes usines et préparèrent leur renaissance économique. Elle leur servit également à se constituer à l’étranger une réserve de devises appréciées qui constituèrent plus tard la garantie d’une nouvelle monnaie dès que l’ancien mark, tombé au voisinage de zéro, fut retiré de la circulation.
Cette réserve s’étant montrée insuffisante pour servir de garantie à une émission importante de la nouvelle monnaie, il fallut y ajouter une garantie hypothécaire portant sur un certain nombre d’immeubles. Les billets alors émis étaient comparables aux obligations hypothécaires de notre Crédit foncier, c’est à dire parfaitement garantis. Par le fait seul de cette garantie, la nouvelle monnaie se trouva soustraite aux variations du change et resta aussi stable que la livre anglaise ou les dollars américains.
La très instructive évolution du mark allemand présente, entre autres particularités, ce phénomène curieux qu’avec sa mauvaise monnaie constituée par ce mark déprécié, l’Allemagne atteignit momentanément un certain degré de prospérité, alors qu’avec sa bonne monnaie elle se trouve gênée, comme le montre l’existence de 1.700.000 chômeurs sur son territoire.
Ce phénomène résulte de la rareté d’une monnaie qu’on ne pourrait multiplier qu’en retombant dans l’inflation.
En France, l’inflation fut pratiquée sur une large échelle et donna pendant quelques années l’illusion de la richesse, mais emprunts et inflation se multiplièrent tellement qu’aujourd’hui, sur un budget de 40 milliards, plus de la moitié est consacrée au versement de l’intérêt des sommes empruntées.
L’expérience d’un peuple servant rarement à un autre, la France a répété les mêmes erreurs que l’Allemagne sur l’inflation et les emprunts.
En France, comme en Allemagne, on mit un certain temps à comprendre que le billet de banque ne peut constituer une valeur invariable qu’à partir du jour où il est échangeable à volonté contre une quantité d’or ou d’argent égale à celle imprimée sur le billet. C’est un principe fondamental dont l’importance apparaîtra dans les problèmes de la stabilisation et de la revalorisation que nous allons étudier maintenant.