L'évolution actuelle du monde: illusions et réalités
CHAPITRE IV
LUTTES DU SOCIALISME ET DU SYNDICALISME
CONTRE LA CIVILISATION
Le socialisme et sa forme dernière le communisme peuvent être envisagés sous trois aspects différents : 1o comme religion ; 2o comme doctrine politique ; 3o comme état mental.
L’état mental a été étudié dans le précédent chapitre. La doctrine socialiste est à peu près celle jadis formulée par Karl Marx. La religion est constituée par les espérances d’un paradis terrestre promis aux prolétaires : l’usine aux ouvriers, la mine aux mineurs, la paix imposée par des réunions internationales d’ouvriers. Plus de guerres, plus de misère.
Une croyance politique ou religieuse représente un bloc dont chacun extrait ce qui est conforme à la nature de son esprit, c’est pourquoi, en passant d’un peuple à un autre, croyances politiques et croyances religieuses se transforment au point de devenir parfois méconnaissables. C’est ainsi, par exemple, que le bouddhisme, religion d’abord dépourvue de divinités, devint, en passant de l’Inde en Chine, polythéiste. Les livres sacrés, gardiens de la croyance primitive, demeurent toujours sacrés bien qu’étant devenus différents de la croyance dont ils traduisaient d’abord la doctrine. Le texte primitif n’a pas changé, mais ce texte est sans rapport avec les conceptions qu’il représentait jadis.
En appliquant ces observations au bolchevisme, on constate qu’il représente, suivant les pays, des idées assez différentes souvent sans rapport avec le marxisme théoriquement resté son évangile.
Chez la plupart des peuples, le communisme constitue simplement une tendance à la libération des instincts primitifs, le besoin intense de détruire l’ordre social établi et le désir, pour les pauvres, de s’emparer de la fortune des riches.
En France, aussi bien qu’en Russie, les communistes ne dissimulent pas leur programme. Une guerre civile générale en est pour eux le prélude nécessaire.
Le journal l’Humanité l’a très bien marqué dans les lignes suivantes, écrites en mars 1927, à propos du projet de loi sur la réorganisation de l’armée :
« Pour nous le problème de l’organisation générale de la nation pour le temps de guerre est clair.
Il s’agit, et il s’agit exclusivement pour nous, d’organiser la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile et de préparer la mobilisation de l’armée au service du prolétariat. »
Le bolchevisme, dont les fondements étaient déjà connus des anciens Grecs, fut la cause principale des conflits sociaux qui se terminèrent par leur servitude.
Qu’il soit ancien ou moderne, le bolchevisme ne s’établit et ne se maintient quelque temps que par un despotisme très dur. La Russie en fournit aujourd’hui un nouvel exemple. L’autocratie des chefs y est si tyrannique qu’on a pu dire avec raison que la dictature du prolétariat était, en réalité, une dictature sur le prolétariat.
M. Jules Sauerwein a résumé dans les termes suivants l’effroyable régime soviétique.
« Ce régime, dit-il, aboutit à la destruction des énergies stimulatrices de l’effort, les individus y sont enrégimentés dans des conditions qui leur imposent une vie où tout est rabaissé à un niveau des plus médiocres. Les joies, à part quelques manifestations artistiques dans les grandes villes, sont réduites à rien. Les espoirs sont vains, les ambitions interdites. Il n’y a plus d’élite, c’est-à-dire plus personne qui, par son effort, ait le droit de conquérir du pouvoir en même temps que des capacités et du bonheur individuel. S’enrichir est un crime, s’élever au-dessus des autres une trahison.
« … Si les choses continuent de la sorte, la Russie redescendra peu à peu vers le moyen âge. Déjà, au lieu de s’adresser aux grandes organisations de l’État, bien des gens construisent de leurs mains des masures, en remplaçant les vitres par n’importe quoi et en fabriquant sur un établi de fortune les quelques objets indispensables. Les agriculteurs ne travaillent plus que pour leur propre subsistance. »
Aucun peuple civilisé ne supporterait longtemps un pareil régime. S’il a pu durer en Russie, c’est que, comme le disait déjà Michelet : « Ce grand pays asiatique, demi barbare, pratiqua toujours le communisme. » Dans beaucoup de régions, les terres appartenaient en commun depuis longtemps à tous les habitants des villages.
Le communisme ne se recrute pas seulement dans le monde ouvrier illettré, mais aussi comme je l’ai plusieurs fois rappelé, dans l’immense armée des inadaptés, c’est-à-dire des êtres vivant dans une civilisation trop compliquée pour eux, ou dont ils croient avoir à se plaindre.
Font partie de cette grande armée les individus mécontents de leur sort, et ceux victimes de tares héréditaires : hérédo-syphilitiques, fils d’alcooliques, etc. ; êtres incomplets auxquels les soins d’une puériculture compliquée permettent péniblement de végéter. Ils sont des ennemis irréductibles de tout ce qui dépasse leur mentalité inférieure. Pendant le triomphe du bolchevisme en Hongrie, on constata que les communistes atteints de tares héréditaires déployèrent une férocité impitoyable à l’égard de leurs victimes, faisant périr les plus éminents citoyens dans d’affreux supplices.
Subissant la loi rappelée plus haut, commune à toutes les croyances, le communisme s’est transformé en changeant de milieu. En Chine et dans l’Inde, il est devenu une sorte de nationalisme ayant pour devise : « La Chine aux Chinois, l’Inde aux Hindous, et le rejet des influences étrangères. »
Les idéals religieux et politiques d’un peuple peuvent vivre parallèlement, se fusionner ou entrer en conflit.
L’Histoire ancienne ou moderne fournit de nombreux exemples de ces situations diverses. Dans la Rome antique, comme dans l’Angleterre moderne, l’idéal religieux et l’idéal politique vivaient sans se heurter. Au Moyen Age, un idéal religieux très puissant dominait en Europe l’idéal politique alors assez faible. De nos jours, l’idéal religieux et l’idéal politique sont entrés en conflit chez plusieurs peuples et c’est pour eux une grande cause de faiblesse. Des idéals contraires finissent généralement par provoquer des luttes prolongées. L’Europe fut déjà ensanglantée par de tels conflits à l’époque des guerres de religion. Actuellement, le radicalisme est entré en lutte contre l’idéal religieux qualifié de cléricalisme, et toute une série de persécutions en fut la suite.
Le monde a fini par devenir assez indifférent aux questions religieuses, mais il a vu renaître, depuis un siècle, la lutte de la foule contre les élites qui a si souvent agité les peuples au cours de leur histoire. Les attaques du socialisme et du communisme contre l’ordre établi sont des manifestations indirectes de ce grand conflit.
C’est de la lutte entre l’élite dirigeante et les multitudes soumises au socialisme qu’est, depuis un siècle, tissée en partie notre histoire.
Les phases de cette lutte sont toujours les mêmes et peuvent se résumer de la façon suivante :
A la suite d’une révolution, le nombre triomphe, mais comme ce triomphe s’accompagne bientôt de désordres et de ruines, une réaction se manifeste, un pouvoir dictatorial surgit, qui met fin aux désordres. Ce pouvoir sans contrôle finit par commettre des erreurs politiques qui provoquent sa chute.
Ces phases diverses se sont succédé en France depuis un siècle, comme nous l’avons déjà rappelé.
Les hommes d’État redoutent fort le socialisme, mais le syndicalisme les préoccupe beaucoup moins. Il est cependant, je le répète, aussi dangereux que le socialisme. Ses progrès journaliers sont en effet plus rapides et plus destructeurs. Les grèves anciennes des postiers et des cheminots en France, celle des mineurs en Angleterre ont montré de quels dangers le syndicalisme pouvait menacer la vie des nations. Le socialisme est une menace lointaine, le syndicalisme un danger immédiat.
Et c’est ainsi qu’une fois encore nous retombons sur les conclusions déjà formulées, que les luttes intérieures sont devenues plus menaçantes que les luttes extérieures contre lesquelles ont été réunis tant d’inutiles congrès.