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L'évolution actuelle du monde: illusions et réalités

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CHAPITRE II
ROLE MODERNE DES FORCES COLLECTIVES.
DIVISION DES SOCIÉTÉS EN GROUPEMENTS CORPORATIFS

En dehors du socialisme qui n’est encore qu’une menace et dont l’expérience russe a montré l’impuissance et les dangers, deux éléments politiques nouveaux jouent un rôle essentiel dans les sociétés modernes.

Le premier est la substitution des forces collectives aux forces individuelles, le second la division des grandes sociétés homogènes en petits groupes hétérogènes ou syndicats.

Les gouvernements modernes sont de plus en plus dominés par les forces collectives. Jadis, un chef d’État se préoccupait fort peu des exigences populaires. L’opinion ne pouvait guère l’influencer puisqu’elle arrivait rarement jusqu’à lui.

Il en est tout autrement aujourd’hui. Les volontés populaires agissent profondément sur les volonté conscientes et surtout inconscientes des gouvernants.

Les plus grands événements de l’histoire contemporaine, les guerres de 1870 et 1914, peuvent être donnés comme exemples d’actes attribués aux volontés de souverains supposés tout puissants, alors que ces actes sont issus en réalité de volontés collectives.

En ce qui concerne la guerre de 1870, j’ai déjà rappelé qu’elle naquit d’une explosion soudaine d’indignation populaire provoquée par une dépêche inoffensive falsifiée par Bismarck, persuadé qu’une guerre avec la France était nécessaire pour fonder l’unité allemande. Utilisant l’irritabilité collective du peuple français, il obligea Napoléon III, qui déjà malade souhaitait vivement la paix, à déclarer la guerre.

Le conflit de 1914 fut également imposé à l’empereur Guillaume par la volonté de son entourage, conforme d’ailleurs aux conclusions de tous les écrivains germaniques. En réalité, le but de sa politique était de posséder une armée et une flotte assez fortes pour imposer ses volontés sans jamais avoir besoin de déclarer la guerre.

Une des caractéristiques des volontés collectives est qu’avant d’agir sur les volontés conscientes individuelles, elles agissent d’abord sur les volontés inconscientes. La mode opère justement de cette façon : arts, toilettes, etc., pensées même, obéissent à ses lois. Son despotisme est tel que toutes les classes sociales, des plus humbles aux plus élevées, le subissent sans discussion. L’homme moderne devient de plus en plus un être collectif et l’originalité est de moins en moins tolérée.

Les opinions collectives, issues d’événements du moment, sont généralement très instables. Celles fondées sur les croyances religieuses et politiques sont au contraire assez fixes, comme l’histoire des religions et des partis politiques le prouve.

La force de ces croyances collectives est de donner à tous les hommes des volontés identiques, c’est-à-dire une unité de pensée et de sentiment qui les font agir d’une même façon dans des conditions semblables. C’est pourquoi le rôle des croyances est si considérable.


Parmi les conséquences des influences collectives qui dominent le monde moderne il faut citer la transformation progressive des sociétés en petits groupes corporatifs, dits syndicats. Uniquement préoccupés des intérêts de leurs groupes, ces syndicats restent indifférents à l’intérêt général.

Le syndicalisme et le socialisme s’associent quelquefois contre un ennemi politique commun, mais ces deux doctrines sont fort différentes.

Le socialisme veut confier à un État omnipotent la gestion de toutes les entreprises ; le syndicalisme prétend établir dans l’État une série de petits états indépendants. Les formules syndicalistes : la mine aux mineurs, les chemins de fer aux cheminots, etc., représentent bien les tendances de la doctrine.

Le socialisme, surtout sous sa forme communiste, constitue, au moins en théorie, une forme parfaite d’altruisme social. Le syndicalisme représente au contraire un égoïsme de groupes complètement indifférents à l’intérêt général.

Ces syndicats se soucient fort peu, d’ailleurs, des théories politiques, le seul but les intéressant est l’augmentation de leurs salaires. Pour l’obtenir ils ne reculent pas, comme l’ont montré en France et en Angleterre les cheminots, les mineurs et les postiers, devant l’arrêt total de la vie d’un pays.

Dans sa dernière menace de grève, le syndicat anglais des cheminots annonçait qu’il arrêterait brusquement tous les trains de chemin de fer quand cela lui plairait, sans prévenir le public.

Peu importe, d’ailleurs, à ces syndicats que les chefs d’entreprise aient l’argent nécessaire pour satisfaire leurs demandes. Ils exigent qu’on impose à leur profit le reste de la nation.

C’est justement ce que fit d’abord le gouvernement anglais en accordant aux mineurs des suppléments de salaire aux frais du trésor pour empêcher la fermeture des mines. Cette maladroite concession ne pouvant durer, les subsides furent supprimés et il en résulta une grève de six mois qui menaça l’existence industrielle de l’Angleterre.

Le syndicalisme, qui divise chaque pays en groupes, animés d’intérêts corporatifs souvent contraires à l’intérêt commun, n’a conquis sa puissance actuelle qu’à la suite de l’évolution industrielle moderne chiffrant par millions les ouvriers de certaines professions, mines, chemins de fer, etc. ; mais son apparition n’est pas nouvelle dans l’Histoire. Il fit périr dans les dissensions plusieurs républiques italiennes du moyen âge, Florence notamment. Pour échapper à l’anarchie syndicaliste, l’illustre république en fut réduite à subir le joug des Médicis.

Syndicalisme et socialisme constituent aujourd’hui deux grandes forces contre lesquelles les sociétés auront souvent à lutter.

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