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L'évolution actuelle du monde: illusions et réalités

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CHAPITRE III
LE THERMOMÈTRE PSYCHOLOGIQUE DES SITUATIONS FINANCIÈRES

Le passage du qualitatif au quantitatif constitue, je l’ai rappelé ailleurs, un des plus importants progrès réalisés dans les sciences. Elles ont été transformées lorsque furent découverts les instruments de mesure tels que le thermomètre. Les progrès se sont multipliés avec la précision des mesures. C’est ainsi que la découverte du bolomètre, qui permet d’évaluer les variations de température d’un millionième de degré, a montré que le spectre solaire invisible était immensément plus long que le spectre visible. Il en résultait que l’œil humain ne perçoit qu’une infime portion de la lumière qui enveloppe les choses.

Malheureusement, la découverte d’instruments de mesure des forces qui a transformé la physique, n’a pu être réalisée jusqu’ici dans le domaine de la psychologie. Le plaisir et la douleur, l’amour et la haine, la tristesse et la joie, ne peuvent se mesurer avec précision encore. Très vagues sont les indications qui prétendent en déterminer approximativement la grandeur.


Des événements imprévus ont permis de découvrir une méthode permettant de mesurer avec la rigoureuse précision qui n’appartient qu’aux chiffres, l’opinion collective de l’univers sur la situation financière de divers pays.

Cette méthode de mesure est constituée par la cote des changes. Véritable thermomètre psychologique, elle formule nettement l’opinion générale sur la situation financière d’un pays. Devant ses chiffres, les gouvernements grandissent ou s’effondrent. Sur ses indications fut instantanément renversée toute une équipe ministérielle, et le parlement obligé d’accepter un chef de gouvernement dont, quelques jours auparavant, il n’aurait voulu à aucun prix.


Le thermomètre physique traduit les forces matérielles. Le nouveau thermomètre psychologique révèle la synthèse d’un immense réseau de forces collectives.

Et il s’agit bien ici d’une puissance nouvelle qui vient de surgir de l’infini tourbillon des causes. On pourrait feuilleter longtemps des pages d’histoire avant de découvrir, parmi les anciens maîtres du monde, papes, rois et empereurs, un pouvoir politique ayant égalé celui de la force nouvelle que les temps modernes ont vu naître.

Les centres de son rayonnement ne sont situés ni dans les parlements, ni dans les palais des rois, mais dans les édifices imposants où siègent les Bourses des grandes capitales. C’est de ces tribunaux anonymes que partent les chiffres qui domineront les volontés des parlements, des souverains et des peuples. Ils feront naître la pauvreté ou la richesse, les révolutions, l’anarchie et les dictatures.

De quelles influences la puissance nouvelle dont nous venons de montrer la grandeur est-elle formée ?

Jadis inconnue, elle ne pouvait naître qu’à la suite de découvertes permettant à certains personnages disséminés dans tout l’univers, d’associer un instant leurs volontés individuelles pour la transformer en une seule volonté collective.

Sur quels éléments se basent les jugements de cette volonté collective dont les arrêts instantanés exercent une influence si colossale ?

Dans les cas les plus simples, cette volonté collective est d’une interprétation facile, mais il n’en est pas toujours ainsi. On comprend la brusque hausse d’une cinquantaine de francs de la livre, quand arriva au pouvoir un président du Conseil soumis aux volontés socialistes. Le tribunal mondial entrevit immédiatement l’évasion des capitaux et les mesures spoliatrices des socialistes capables de provoquer la ruine de la France.

Dans des cas aussi simples, la relation des effets aux causes apparaît nettement. Elle s’aperçoit moins dans les circonstances ordinaires.

Sans prétendre résoudre entièrement le problème de l’unanimité des volontés collectives, on peut dire qu’avec la suppression des distances par le télégraphe, il se forme dans le monde, sur certaines questions essentielles, une opinion universelle moyenne que la contagion mentale propage rapidement.

Un grand nombre des mesures prises par les gouvernements de certains pays pour provoquer la confiance collective et assainir leur monnaie sont les équivalents d’une plaidoirie prononcée par un avocat habile devant un tribunal redouté dont les décisions sans appel peuvent avoir les plus lourdes conséquences sur la vie d’un peuple.


Les forces qui régirent le monde aux diverses périodes de son histoire étant inaccessibles à la mentalité populaire furent transformées en personnalités divines ou humaines douées d’imaginaires pouvoirs.

Et c’est pourquoi la mystérieuse évolution des forces qui dirigent la naissance des chiffres enregistrés par les Bourses dépend, dans la croyance populaire, des volontés d’une petite oligarchie de tout puissants banquiers que les socialistes poursuivent de leur haine et dont les chefs d’État sollicitent le concours.

Et ici, l’erreur des gouvernants ressemble fort à l’erreur populaire : ils croient, eux aussi, qu’avec le concours de quelques puissants banquiers, la situation financière d’un pays pourrait être transformée. Il dépendrait de leur concours, par exemple, que le cours d’une monnaie fût changé.

En réalité, ce pouvoir supposé est imaginaire. L’expérience suffirait à montrer que les millions, parfois prêtés par les princes de la finance, pour modifier le cours d’une monnaie, ont toujours été engloutis sans résultat durable.

Plusieurs expériences du même ordre ont prouvé à quel point les forces individuelles étaient impuissantes à lutter contre l’immense agrégat de forces économiques collectives qui, de nos jours, déterminent la marche financière du monde.


Dans la plupart des pays européens : France, Italie, Belgique, Pologne, Autriche, etc., les problèmes financiers sont aujourd’hui au premier plan. Ils conditionnent la vie politique et sociale tout entière.

Les deux points essentiels de ces problèmes sont l’équilibre du budget et la création d’une monnaie à valeur fixe, c’est-à-dire n’étant soumise à aucune oscillation.

Ces deux problèmes, le second surtout, ne semblent pas d’une solution facile, puisque les experts nommés dans divers pays pour les résoudre ont généralement abouti à d’insuffisants résultats.

Il ne faut pas s’en étonner, d’ailleurs : les experts ne font, en effet, entrer dans leurs calculs que des éléments économiques mesurables, alors que les problèmes à résoudre sont souvent dominés par des facteurs psychologiques échappant à toute mesure.

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