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L'évolution actuelle du monde: illusions et réalités

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INTRODUCTION
PHYSIONOMIE ACTUELLE DU MONDE

L’âge actuel représente une période de progrès et de bouleversements qui différencient profondément la civilisation moderne de toutes celles que l’humanité a vu naître, grandir et disparaître au cours de sa longue histoire. Les peuples se trouvent entre un monde qui finit et un monde qui commence.

La structure du monde nouveau dépendra de l’issue du conflit entre les forces créatrices, les forces conservatrices et les forces destructrices qui agitent la vie des peuples.

Les forces créatrices nées chaque jour dans les laboratoires et les usines ont transformé la vie matérielle et donné aux civilisations une physionomie nouvelle.

Les forces conservatrices représentent l’héritage ancestral des peuples. C’est le domaine de la vie inconsciente où s’élaborent les principaux mobiles de la conduite.

Les forces destructrices agissent en sens contraire des précédentes. Les ambitions des souverains, les rivalités entre peuples, le mécontentement des multitudes, les révolutions, appartiennent au grand cycle des forces destructrices. Les catastrophes observées depuis les débuts de la dernière guerre montrent à quel point elles peuvent ravager le monde.

La plupart des problèmes que nous étudierons dans cet ouvrage résultent des menaces que les forces destructrices continuent à faire peser sur les divers pays. La grande préoccupation des gouvernants est de trouver les moyens de limiter leur action.

Il suffit de jeter un coup d’œil sur la physionomie actuelle du monde pour constater ce rôle des forces destructrices.


Presque tous les pays de l’Europe : Allemagne, Italie, Pologne, etc., sont divisés par des rivalités de frontières et ne songent qu’à s’agrandir aux dépens de leurs voisins.

A ces menaces de conflits extérieurs se joignent encore des menaces de conflits intérieurs déterminés par les rivalités des partis. Pour se soustraire à l’anarchie résultant de ces luttes intestines, de grandes nations telles que l’Espagne et l’Italie en ont été réduites à subir des dictatures.

Les peuples les plus stabilisés par un long passé n’ont pu échapper à l’anarchie dont l’Europe est aujourd’hui victime. C’est ainsi qu’une grève générale faillit ruiner l’Angleterre et que celle des mineurs occasionna des pertes dont le montant a été évalué au coût d’une grande guerre.

La politique extérieure de l’Empire britannique n’est pas moins troublée que sa politique intérieure. Après avoir perdu l’Irlande il voit les dominions réclamer leur indépendance et les marchés étrangers, qui le faisaient vivre, se fermer devant lui. 1.500.000 chômeurs montrent la gravité de cette situation.

Les autres États européens ne sont pas dans une situation meilleure. La Russie retourne à la barbarie, l’Allemagne essaie péniblement de refaire sa situation économique, la France est en proie à des divisions qui ont failli ruiner son existence financière.

L’anarchie qui pèse sur l’Europe pèse aussi sur d’autres parties du monde. L’Orient entier, de la Turquie à la Chine, se trouve livré à des luttes civiles redoutables.


Alors qu’une grande partie du monde semble plongée dans le chaos, l’Amérique, seul pays ayant profité de la guerre, a pu se soustraire aux causes de ruine dont tous les peuples furent victimes. Plus de la moitié de l’or du monde est passée entre ses mains. Les plus grands États de l’Europe sont ses débiteurs. Elle exerce de plus en plus sur eux une hégémonie financière parfois très lourde. Affranchis de toute influence socialiste, ses ouvriers reçoivent des salaires fort supérieurs à ceux des autres pays et mènent une existence aisée qu’envieraient la plupart des bourgeois européens.


Un des grands dangers de l’heure actuelle, le plus grand peut-être, puisqu’il menace l’existence même des civilisations, résulte des progrès réalisés dans les moyens de destruction. Les découvertes de la science ont mis au service de sentiments, dont l’évolution n’a pas suivi celle de l’intelligence, des procédés de destruction tellement puissants que de grandes capitales pourraient être anéanties en quelques heures. C’est un péril que le monde n’avait pas encore connu.

Dans l’espoir de prévenir cette perspective redoutée, des hommes d’État éminents ont fondé une Société des Nations, où les représentants des peuples cherchent, au moyen d’arbitrages, à maintenir la paix.

Ils n’y ont pas réussi encore. Leurs discussions montrent que les hommes sont souvent plus séparés par des différences de sentiments que par des divergences d’intérêts.

Cette tentative d’établir une paix prolongée n’est d’ailleurs pas nouvelle. Après les grandes périodes de luttes, les pays épuisés cherchèrent toujours des combinaisons capables de maintenir la paix. A la suite des vingt ans de guerres napoléoniennes le congrès de Vienne, véritable société des nations, espérait, lui aussi, terminer l’ère des conflits.

Toutes les combinaisons de cet ordre sont efficaces tant que n’apparaissent pas des difficultés que les décisions pacifiques sont impuissantes à résoudre. On a justement remarqué que si la Société des Nations avait existé à l’époque où se fondait l’unité de l’Italie, la réalisation de cette unité eût été impossible. Chacun des minuscules États dont se composait alors l’Italie se fût adressé à la Société des Nations qui aurait dû employer son influence à les protéger.

Tous ces édifices juridiques prétendant éterniser la situation du monde à un moment donné ont une utilité provisoire incontestable ; mais leur influence ne saurait longtemps durer. On ne stabilise pas plus les nations qu’on ne stabilise l’évolution de la vie.


A côté des efforts tentés par la Société des Nations pour établir la paix, les diplomates cherchent à la fixer par la vieille méthode des alliances. L’histoire ancienne ou moderne montre malheureusement que les traités restent sans effet dès qu’ils cessent d’être en harmonie avec les intérêts des parties contractantes. On le vit une fois de plus dans la dernière guerre, lorsque l’Italie n’hésita pas à se tourner contre son alliée germanique dès qu’elle y eut intérêt, malgré de formels engagements.

De nos jours, les seules bases efficaces des alliances résident dans la communauté des intérêts économiques. C’est à une telle communauté qu’est dû le rapprochement de la France et de l’Allemagne.

Les associations économiques internationales, comme celle formée récemment entre la France, l’Allemagne et divers pays pour régler certaines productions, celle de l’acier notamment, feront plus pour le maintien de la paix que tous les projets d’alliance, de désarmement et d’arbitrage péniblement élaborés dans les congrès.


Il est facile de montrer qu’au point de vue rationnel les peuples ont plus d’intérêt à s’aider qu’à se détruire. Malheureusement la raison joue un rôle bien faible dans la vie politique. Ce rôle a diminué encore, depuis la prédominance des forces collectives, caractéristique de l’évolution démocratique moderne.

Les forces collectives sont aveugles, soudaines et la raison n’agit pas plus efficacement sur elles que sur le cours d’un torrent. Les futures guerres naîtront peut-être du déchaînement de fureurs populaires qui balaieront en un instant toutes les conventions péniblement édifiées par les diplomates. La guerre de 1870 est justement née d’une explosion de fureur des multitudes déchaînée par une dépêche habilement falsifiée.

Il est probable, d’ailleurs, que les plus dangereuses des luttes futures seront des guerres intérieures issues de révolutions populaires provoquées par les apôtres de la religion socialiste.


On dit justement que gouverner, c’est prévoir ; mais comment lire dans l’enchevêtrement compliqué des causes dont les grands événements résultent ?

La difficulté est considérable parce qu’en politique des causes très petites produisent parfois des effets très grands. C’est ainsi que jadis les visions d’un obscur chamelier de l’Arabie eurent pour premières conséquences, avec la création d’une religion nouvelle, la fondation d’un immense empire et, comme conséquences lointaines, les croisades qui précipitèrent l’Europe sur l’Orient.

Avec l’interdépendance actuelle des peuples, les moindres rivalités entre états voisins, même fort petits, peuvent déchaîner un conflit universel. La dernière guerre en est un exemple.


Sans prétendre lire dans le livre du destin, on peut au moins mettre en évidence quelques-uns des facteurs principaux qui semblent devoir influencer l’évolution prochaine du monde.

Aux forces destructrices d’origine plus ou moins ancienne, énumérées au début de ce chapitre, se joignent des forces destructrices nouvelles, le syndicalisme et le socialisme notamment, résultant de la prédominance moderne des influences collectives.

Sous l’action du syndicalisme les sociétés tendent à se diviser en petits groupes ne considérant chacun que ses intérêts et totalement indifférents à l’intérêt général. La puissance des syndicats est devenue très grande. Tout récemment ils ont failli désorganiser entièrement l’Angleterre en provoquant une grève générale.

Limités jadis au monde ouvrier, ils comprennent maintenant la classe des fonctionnaires et celle des instituteurs. La Confédération générale du travail, qui les a fusionnés, se trouve ainsi avoir absorbé les défenseurs professionnels de l’État.

Il en est résulté que le gouvernement se trouve aussi impuissant contre les exigences de ses employés que l’était le gouvernement italien avant l’arrivée du fascisme.


L’association des intérêts corporatifs constituant le syndicalisme ne doit pas être confondue avec le socialisme qui remet à l’État, et non aux corporations, la gestion générale des entreprises.

Le socialisme est à la fois un mouvement politique et religieux, il tire sa force non de sa doctrine mais des éléments mystiques qui lui servent de soutien.

Son succès contribue à prouver que, des âges les plus reculés de l’histoire aux temps modernes, les hommes ne se passèrent jamais d’une foi religieuse pour diriger leur vie. Ce mystique besoin semble aussi irréductible que la faim et l’amour.


Aux forces destructrices dont nous venons d’indiquer la puissance s’opposent, non seulement les forces créatrices issues des laboratoires, mais aussi les forces conservatrices créées par le passé.

Une des plus dangereuses illusions politiques de notre âge est de croire qu’un peuple puisse se dégager des influences ancestrales d’où sa nature dérive.

De cette illusion furent victimes les hommes de la Révolution quand ils croyaient pouvoir fonder une ère nouvelle destinée à marquer leur rupture complète avec le passé.

De la même illusion sont encore victimes aujourd’hui les partis politiques extrêmes, prétendant transformer les sociétés à coups de décrets. Ils oublient que l’homme ne sort jamais de lui-même. Fils de son passé, il ajoute bien peu à l’héritage apporté en naissant. Des combinaisons politiques diverses pourront lui être imposées un instant, mais elles ne dureront qu’à la condition d’être en rapport avec le substratum ancestral des mentalités que ces institutions doivent régir. Les organisations en apparence nouvelles dérivent le plus souvent des organisations passées comme la plante dérive de la graine. C’est justement pourquoi l’histoire des peuples stabilisés par leur vie antérieure présente une grande continuité, malgré les bouleversements apparents dont elle est parfois remplie.


Un célèbre homme d’État assurait récemment que :

« Les questions économiques, politiques et morales sont subordonnées à des lois générales, dont la méthode expérimentale, sainement appliquée, permet de rechercher les fondements et d’établir la permanence. »

En réalité ces lois générales sont fort mal connues et c’est pourquoi l’empirisme joue en politique un rôle prépondérant.

Cet empirisme n’a pour guide que la connaissance des mobiles qui font mouvoir les hommes. C’est donc à la psychologie qu’il faut s’adresser pour essayer de comprendre les événements dont la succession constitue l’histoire. Elle explique un grand nombre de phénomènes politiques, militaires et sociaux. Les causes de la propagation du socialisme, les oscillations des volontés populaires, le rôle mystique des croyances, les finances elles-mêmes sont du ressort de la psychologie.

Pour les gouvernants modernes, cette science est devenue indispensable. C’est en utilisant ses lois que les Américains sont parvenus à résoudre sur leur territoire le problème de la lutte des classes qui menace le vieux monde de formidables conflits. C’est pour avoir méconnu certaines lois de la psychologie collective, que les chefs de grands empires ont plongé l’Europe dans l’abîme de ruines et de désolations dont elle n’est pas sortie encore.

Étant donnée la prépondérance moderne des influences collectives c’est surtout la psychologie des foules qu’il importe de bien connaître. Nous savons aujourd’hui que la mentalité individuelle et la mentalité collective sont bien différentes. Contrairement à une croyance très générale encore, l’être collectif est fort inférieur à l’être individuel.

Une des grandes erreurs de la politique moderne est de croire que les jugements des hommes en groupe sont supérieurs à ceux de l’individu isolé. Pour les politiciens les décisions des foules représentent de suprêmes vérités.

Sans doute les vertus collectives maintiennent la prospérité des peuples mais c’est seulement de la pensée individuelle que jaillissent les idées qui élèvent le niveau d’une civilisation et assurent sa grandeur.


C’est encore au domaine de la psychologie collective qu’appartient l’étude des influences ancestrales qui dominent la vie des peuples. Chez ceux ayant un long passé l’âme de la race limite les oscillations des volontés populaires que les événements font naître. L’âme d’une race c’est la mer immuable et profonde, l’âme d’une foule représente les vagues mobiles que la tempête fait surgir. C’est en vain que l’homme cherche parfois à rompre avec son passé. Nous verrons dans cet ouvrage que malgré toutes les révolutions les actes des vivants restent soumis à l’impérieuse volonté des morts.

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