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L'évolution actuelle du monde: illusions et réalités

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CHAPITRE III
LA MENTALITÉ BOLCHEVISTE

En dehors des théories qui lui servent quelquefois de support, mais dont la plupart des sectateurs de la doctrine n’ont jamais entendu parler, le bolchevisme constitue une mentalité spéciale fort répandue aujourd’hui.

En quoi consiste donc cette mentalité si répandue, alors que la doctrine politique ne s’est développée qu’en Russie et n’a envahi certains états civilisés, comme la Hongrie, que pour être bientôt repoussée par ceux-là mêmes qui l’avaient acceptée ?

La mentalité bolcheviste a, comme caractéristiques principales, un esprit de révolte permanent contre toutes les formes d’autorité, à l’exception de celle des chefs de la doctrine, la haine jalouse de toutes les supériorités, le retour aux instincts primitifs, l’ardent désir de supprimer violemment les contraintes sociales que la civilisation oppose à ces instincts.

Cette mentalité, plus répandue chaque jour, se manifestait déjà dès les débuts de la paix. J’en eus la première notion lorsque des milliers d’électeurs parisiens choisirent comme député un capitaine bolcheviste, sans avoir d’ailleurs la moindre idée de sa doctrine.

Ignorant à cette époque en quoi consistait le bolchevisme, je cherchais à me renseigner le soir même de cette élection auprès d’un vieux philosophe de mes amis.

Il était malheureusement aussi ignorant que moi, mais m’assura que, si je voulais bien dîner avec lui, les propos de sa bonne, très révoltée depuis quelque temps, pourraient me documenter.

Ils me documentèrent en effet ; bien que faiblement érudite, la servante bolcheviste me donna en réponse à mes interrogations d’assez judicieux conseils.

— Laissez vos bouquins, dit-elle, regardez le grouillement de la vie. Les livres, ça parle de choses mortes et c’est pourquoi les savants qui passent leur temps à les lire ne savent pas grand chose du monde. Regardez autour de vous et peut-être arriverez-vous à comprendre le bolchevisme.

Malgré leur forme médiocrement littéraire, ces conseils contenaient un fonds de vérité dont je m’empressai de tenir compte.

Le hasard me servit assez bien. Dès le lendemain, en effet, je rencontrai chez un ami qui faisait réparer son appartement une équipe d’ouvriers divers échangeant, à propos de l’élection récente, des réflexions révolutionnaires, d’ailleurs dépourvues d’aménité pour les patrons qui les employaient. Me mêlant à leur conversation, je déclarai d’un air entendu au plus bruyant des orateurs de la bande que le bolchevisme était sans doute, suivant les prétentions des propagateurs de la doctrine, une application des principes de Karl Marx.

— Karl Marx ? Connais pas. Ça doit être un des rois boches détrônés récemment. Les rois et les bourgeois, n’en faut plus. C’est l’ouvrier qui doit être bourgeois à son tour. Voilà le bolchevisme.

Ce jugement, bref sans doute, mais suffisamment clair, me fit continuer mes recherches.

Elles furent instructives, puisque de leur ensemble se dégageait nettement l’armature de la mentalité bolcheviste : haine de l’ouvrier contre le patron, hostilité des employés contre leurs chefs, jalousie générale des inférieurs à l’égard des supérieurs, libération des instincts que les contraintes sociales réprimaient jadis, mépris de l’autorité partout.

De ces observations et d’autres du même ordre il ressortait assez clairement que le bolchevisme désignait sous un nom nouveau un état mental extrêmement ancien, puisqu’il se manifestait déjà avant le déluge. Le Caïn de la légende biblique tuant son frère de la prospérité duquel il était jaloux est le véritable ancêtre des bolchevistes. Caïn traita Abel exactement comme Lénine devait traiter plus tard les bourgeois favorisés par la fortune ou l’intelligence.


Nous venons d’esquisser sommairement la mentalité bolcheviste. Disons, maintenant, quelques mots de la doctrine.

Rajeunie en apparence par des théories livresques, elle n’est qu’un simple retour au communisme des premiers âges.

Ces théories représentent, en réalité, le besoin des révolutions triomphantes de trouver une justification rationnelle à leurs violences. Le Contrat Social de J.-J. Rousseau, qui enseignait la bonté primitive de l’homme uniquement perverti par les sociétés, fut la bible de Robespierre et servit à rationaliser la guillotine. L’œuvre du juif Karl Marx, dont les doctrines sont souvent aussi enfantines que celles de Rousseau, devint la bible de Lénine et de ses associés. Elle permit de justifier les systématiques massacres des intellectuels et le pillage général des fortunes.

En fait, les foules révoltées ne se préoccupent guère des systèmes. Il n’existe que de bien lointains rapports entre l’idéologie marxiste et l’organisation des républiques soviétiques. Les communistes russes connaissent fort peu leur grand prêtre Karl Marx, et les communistes français ne le connaissent pas davantage. L’un d’eux avouait, au parlement français, n’avoir jamais lu une ligne de ce théoricien célèbre. Il faut l’en louer, car les livres de Karl Marx contiennent un si grand nombre d’assertions démenties plus tard par les événements, que leur lecture suffirait à guérir du communisme tout esprit impartial.

Jugeant inutile d’insister sur les théories communistes, il sera suffisant d’indiquer sommairement les formes que le bolchevisme revêt dans la pratique.


Au point de vue théorique, le bolchevisme oriental semblerait représenter la domination totale de l’être individuel par l’être collectif. En Russie, une pyramide de conseils ouvriers, dits soviets, s’étend du village au comité central directeur. En sont exclus les bourgeois, les professeurs et tous les intellectuels.

Cette dictature apparente du prolétariat n’est en réalité qu’une fiction. La machine gouvernementale reste entièrement dirigée par un petit nombre de chefs assez absolus pour avoir pu supprimer toutes les libertés, celles de la parole et de la presse notamment. Des fusillades sommaires terminent immédiatement la moindre tentative d’opposition.

Le bolchevisme russe n’est, d’ailleurs, qu’une simple continuation de l’ancien régime tsariste. Il se maintient pour des raisons identiques à celles qui soutenaient ce régime. La Russie demi-barbare, composée de races différentes, ne peut, comme tous les pays asiatiques, conserver une certaine unité que sous la main de chefs absolus.


L’essai actuel du communisme en Russie n’est pas unique en Orient. La Chine, notamment, expérimenta le communisme plusieurs fois. Au XIe siècle, sous l’empereur Tcheng-Tsong, la propriété privée fut abolie, les capitaux, les terres et les industries mis en commun.

Après une quinzaine d’années d’expérience, les ouvriers et paysans renversèrent le régime dont les graves inconvénients avaient fini par les frapper. La terre et l’industrie ne rapportaient plus rien, par suite de l’indifférence des exploitants que l’intérêt personnel n’animait plus.

Une nouvelle expérience du communisme faillit ruiner la Chine vers le milieu du dernier siècle. Elle dura également une quinzaine d’années, au bout desquelles les masses elles-mêmes virent que, loin d’être diminuée par le nouveau régime, leur misère augmentait.


Si le communisme tend à se répandre chez certaines grandes nations, c’est, comme je l’ai fait remarquer déjà, que les civilisations, à mesure qu’elles se compliquent, traînent derrière elles un nombre immense d’êtres incapables de s’y adapter et désireux par conséquent de les renverser.

Pareil phénomène fut souvent observé dans l’histoire. Lorsqu’une race inférieure arrive à dominer accidentellement par la force une civilisation trop élevée pour elle, cette dernière est détruite avec violence. On le vit, notamment, lorsque les barbares anéantirent en Gaule la civilisation romaine, trop raffinée pour eux. On le vit également, de nos jours, lorsque les nègres de Saint-Domingue et d’Haïti anéantirent, sans pouvoir la remplacer, la civilisation que les Européens leur avaient apportée.

Des phénomènes du même ordre se manifestent actuellement en Russie. Un observateur judicieux, M. Chessin, explique comment le régime communiste fit une guerre féroce aux intellectuels. Il rapporte cette profession de foi publiée par la Pravda :

« L’Orient moujik a jeté bas les théories de la science occidentale, il a obligé le savant à ployer l’échine devant l’ouvrier noir de crasse. »

Un des grands maîtres de la doctrine, Zinovief, proclame que, « dans chaque intellectuel, il voit un ennemi du pouvoir soviétique ».

C’est en raison de cette mentalité que l’enseignement de l’histoire, de la philosophie, de la morale a été exclu des écoles.

« Suivant l’auteur précédemment cité, les maîtres du pouvoir ont interdit, sous la menace de pénalités exemplaires, dans les bibliothèques publiques, des ouvrages de Platon, Aristote, Descartes, Kant, Spencer, etc. Les grands auteurs russes modernes eux-mêmes sont exclus. »

D’après le même auteur les professeurs des universités seraient choisis parmi les élèves des écoles ouvrières, n’ayant d’autres connaissances que les quatre règles de l’arithmétique et quelques rudiments de grammaire.

La Russie retourne ainsi aux formes inférieures de civilisation que rêvent tous les inadaptés.


Nous venons de résumer brièvement la mentalité bolcheviste, la doctrine bolcheviste et ses applications.

La doctrine bolcheviste est dangereuse, mais la mentalité qui l’inspire plus dangereuse encore. Si elle continuait à envahir le monde, elle saperait définitivement tous les principes servant de base aux grandes civilisations.

La doctrine bolcheviste est en train de détruire le capital matériel des peuples, mais la mentalité bolcheviste menace un capital moral plus précieux que de fugitives richesses et dont la création a demandé de longs siècles d’efforts.

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