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L'évolution actuelle du monde: illusions et réalités

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CHAPITRE III
RAISONS PSYCHOLOGIQUES DU DANGER DES DICTATURES

Après avoir montré l’utilité des dictatures à certains moments de la vie des peuples, il importe aussi d’en mentionner les dangers.

L’autorité d’un dictateur étant, par définition, soustraite à tout contrôle, ses erreurs peuvent, comme le prouve l’histoire, entraîner un peuple vers d’irréparables désastres. Lorsque Napoléon III, aveuglé sur les plus évidents intérêts de la France, favorisa l’écrasement de l’Autriche par la Prusse, il préparait sa future défaite en 1870 et la guerre de 1914 qui en représente une lointaine conséquence.

Durant la lutte mondiale, ce fut par une série de maladresses, dont chacune constituait un acte dictatorial, que Guillaume II amena les pacifiques commerçants des États-Unis à entrer dans le conflit. Cette lourde faute lui fit perdre une guerre dont l’issue restait fort douteuse avant l’intervention américaine.

J’ai déjà rappelé que l’Angleterre commit des erreurs du même ordre, notamment quand le ministre Lloyd George usa de son pouvoir presque dictatorial pour lancer la Grèce contre la Turquie dans l’espoir de conquérir indirectement Constantinople.

La politique dictatoriale du même ministre envers la France ne fut pas plus heureuse. Elle faillit faire perdre à l’Angleterre une alliance qui lui était aussi nécessaire qu’à son ancienne alliée.

Bien d’autres exemples montrent la funeste influence que peuvent parfois exercer les dictateurs. Les plus puissants que le monde ait connus depuis longtemps furent Lénine en Russie, et, pour un instant en Europe, le Président Wilson. Lénine ramena la Russie à la barbarie et le Président Wilson fut un des principaux auteurs de la désorganisation européenne actuelle.

Dès son arrivée en Europe l’illustre homme d’État américain vit ses décisions dictatoriales acceptées comme des oracles. Oubliant que les empires naissent de nécessités historiques accumulées et ne sont pas créés par la raison pure, il prétendit refaire la carte de l’Europe en ne prenant que l’idéologique principe des nationalités pour guide. Ce principe lui inspira la rédaction d’un traité de paix où, dédaignant mille ans d’histoire, l’Europe fut découpée en petits états, sans vie économique possible et toujours prêts à s’entredéchirer.


Les dictatures prolongées présentent cet autre danger d’amener rapidement l’affaissement du caractère de ceux qui les subissent. Sans doute la dictature d’Auguste mit fin aux guerres civiles et assura pour longtemps la prospérité de l’Empire. Mais, sous l’influence despotique de ses successeurs, l’âme romaine se désagrégea et perdit les qualités de caractère qui avaient maintenu à travers les âges la grandeur de Rome.

La soumission des Romains à la puissance impériale était devenue complète. Lorsqu’un César de la décadence pénétrait au Sénat, les sénateurs tremblaient devant lui et applaudissaient avec frénésie quand, sur un simple soupçon, le maître envoyait quelques-uns d’entre eux au supplice. Les Conventionnels ne montraient pas moins de servilité lorsqu’ils applaudissaient Robespierre marquant pour l’échafaud les collègues ayant cessé de lui plaire.


Si les dictatures ont une tendance à se perpétuer, c’est que la plupart des hommes, pour s’éviter l’effort de se guider eux-mêmes, cherchent un maître capable d’orienter leurs pensées et leur conduite.

Jamais les peuples ne parlèrent plus qu’aujourd’hui de liberté et jamais pourtant ils ne se soumirent aussi facilement à toutes les servitudes. Si le besoin d’égalité ne cesse de grandir, l’idée de liberté a perdu tout prestige. Certains partis, le communisme par exemple, la rejettent complètement et attendent avec respect les ordres venus de lointains despotes. Des millions de syndicalistes se conforment aux injonctions impérieuses de leurs chefs. Sur un geste de ces maîtres, les chemins de fer d’un pays cessent de fonctionner, les mineurs d’extraire du charbon, les flottes marchandes suspendent leur commerce. Tous les éléments de la vie sociale se trouvent ainsi paralysés.

Les purs socialistes ne se soucient pas davantage de liberté. Leur rêve est un étatisme étroit gouvernant avec rigidité la vie des citoyens. Les lois votées sous leur influence n’ont fait qu’effacer de plus en plus les traces de liberté dont les hommes jouissaient encore. Dans les pays latins ils semblent s’y résigner facilement.

Ici nous touchons à un élément psychologique fondamental dont la connaissance éclaire ce qui précède. Si les universités des États-Unis considèrent comme essentielle l’éducation du caractère, si négligée des universités latines, c’est qu’elles savent bien que l’homme qui parvient à se dominer lui-même n’a pas besoin d’être gouverné par d’autres. Possédant une discipline interne qui le dispense de toute discipline externe, il est son propre dictateur. Rien ne remplace pareille dictature.

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