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La nouvelle cuisinière bourgeoise: Plaisirs de la table et soucis du ménage
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CONSERVES D’ALOUETTES
Alouette, au clair matin,
Qu’est devenue ta compagne
En bottes de maroquin.
Le chasseur, au clair matin,
Battait, alerte et malin,
Tous les buissons du chemin,
Et la plaine, et la montagne :
— Qu’est devenue ta compagne ?
Tant de perfides lacs, et le plomb meurtrier,
Et cette glu damnée :
Hélas, hélas, n’est-ce pas grand’pitié
De la gent empennée ?
Pour lisser une plume où se jouait le vent,
Ou pour donner à son aigrette
Un petit air plus conquérant,
Coquette,
Pour toi seul trop heureux et malheureux amant,
Elle a dû s’arrêter devant
Un de ces miroirs décevants,
Ta compagne, pauvre alouette !
Le triste oiseau, aux échos d’alentour,
Réclame vainement l’objet de son amour :
Il interroge les guérets,
Il sollicite les ramures,
Les guérets sont restés muets,
Et les ramures sans murmure…
— Ah ! morte, partager sa mort,
Mais du moins la revoir encor ! —
Et, comme en un vol de folie,
L’oiseau a franchi les prairies.
Et les grands bois, et les cités :
Au haut des toits, sur une patte, les cigognes
S’étonnent,
Et les petits coqs des clochers sont scandalisés :
Il vole, il vole, sans s’arrêter.
A tire d’aile, dans les airs,
Par delà les mouvantes mers,
N’en pouvant plus, il touche une rive étrangère.
Un homme est là qui le recueille,
Cet homme est plus noir que le deuil
D’un enfant qu’enleva la fièvre typhoïde :
Un faux-col en celluloïd
Le couvre seul, et quelques feuilles ;
Mais, souriant contre toute espérance,
Et, l’hospitalité illuminant son œil :
— Infortuné, va, ne crains rien de mon accueil, —
(A part.) C’est un oiseau qui vient de France ! —
L’oiseau ravi, et plein de confiance,
Se pose alors sur son épaule,
Et frôle
Les divers ornements de zinc
Qui composaient la parure succincte,
Dont se complaisent à se parer ces âmes simples.
Soudain, l’oiseau a tressailli :
Voici
Que rayonnaient, sur l’étincellement d’une épaulette,
(Chez les nègres, encor, c’est le goût général
De s’habiller en général ;
Cela ne nous fait aucun mal) ;
Donc ces mots rayonnaient sur ce qui, je répète,
Servait au nègre d’épaulette,
Vestige étincelant d’une boîte infernale,
Ces mots (il a bien lu !) : — Conserves d’alouettes !
— C’est donc cela ! dit l’alouette ;
Son hôte en vain insiste pour qu’il se repose,
Pour qu’il prenne au moins quelque chose :
L’oiseau ne veut rien entendre, et repart
A la recherche des barbares
Qui préparent
A ses pareils ces douloureuses métamorphoses…
A tire d’ailes, dans les airs,
Il a retraversé les mers,
Surprenant à nouveau, de sa course baroque,
Et les cigognes, et les coqs.
Il arrive, hors d’haleine, et s’introduit
Pendant l’horreur d’une profonde nuit,
Dans cet endroit où les marchands conservent,
— Bastilles,
Où gémissent des comestibles, —
Les sombres boîtes de conserves.
— Vlan ! —
A coups de bec dans le fer-blanc,
Les boîtes s’ouvrent, —
Délivrons tous ces pauvres bougres :
Des sardines sortent en tremblant,
La geôle les a rendues aveugles et sourdes ;
Qu’ont-ils fait de leur air badin,
Les petits pois, joie du jardin ?
Et comme ils sont piteux, et tristes se renfrognent,
Les truffes et les cèpes, ces cadets de Gascogne !
Mais quelle angoisse et quel effroi,
Des profondeurs sort une voix, —
Écoutez, cruels, écoutez :
— Je suis le Thon, j’ai trente-cinq ans de captivité ! —
Le courageux oiseau poursuit avec ardeur
Sa tâche de libérateur,
Sans relâche, sans qu’il se lasse,
De sa compagne cherchant les traces :
Quelque chose lui dit qu’il la retrouvera,
Oui, cette voix du sang qui ne nous trompe pas !
Une boîte résiste encor,
L’oiseau, en vain, sur le couvercle,
Par cent fois s’est brisé le bec :
Mais il en vient à bout, en un suprême effort ; —
Et c’est un horrible mélange
D’os et de chairs meurtris : avant qu’on ne vous mange,
Pauvres alouettes, voilà donc comme on vous arrange !
L’oiseau voudrait douter de son tragique sort :
Sa compagne, chère alouette,
Dans cet amas confus, comment la reconnaître ?
D’autres qu’elle sont là, peut-être :
Mais, hélas ! voici l’anneau d’or,
Qu’il lui avait donné, gage de sa foi, pour sa fête…
Un an après, jour pour jour,
Le fabricant de conserves alimentaires
Constatait, à son tour, d’analogue manière,
Le décès du charmant objet de son amour,
Dans un accident de chemin de fer.
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