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La nouvelle cuisinière bourgeoise: Plaisirs de la table et soucis du ménage

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LE MEILLEUR DÉJEUNER

Adieu, notre petite table,
L’heure a sonné d’autres plaisirs :
Nous finirions par devenir
D’une obésité regrettable,
A table ainsi, toujours à table ; —
Puis je crois que ça doit suffire
A tant de lecteurs et de lectrices estimables,
Qui étaient seulement trop polis pour me le dire ; —
Adieu, notre petite table,
L’heure a sonné d’autres plaisirs !
Que nul mets ne me sollicite,
Dorénavant je passerai,
Les yeux vagues, le nez distrait,
Devant les marchandes de frites,
Devant les marchands de marrons,
Devant ceux des quatre-saisons :
Non, non,
Je n’entendrai plus leur invite,
Et, dédaigneux, passerai vite,
Sans nul mets qui me sollicite.
C’est en vain, bouchère robuste,
Que tu feras saillir ton buste,
En jersey noir, à ton comptoir ;
En vain, ô pâtissière rousse,
Près des tartes d’amande douce,
Tu souriras, plaisante à voir ;
Et, charcutière folichonne,
Tes cervelas et ta personne,
C’est tout cela que j’abandonne ;
Oui, peu m’importe qu’Augustine,
Cuisinière improbe, destine
Mon vin à des sapeurs-pompiers,
Je ne veux plus, dans ma cuisine,
Je n’y veux plus mettre les pieds.
C’est assez de mangeaille, assez de nourriture,
De comestibles de toute nature :
Ailleurs, de notre esprit, exerçons la culture.
Votre distinction ne me troublera plus,
Maîtres d’hôtel pansus des restaurants cossus,
Dont tant je redoutais l’obligeance hautaine,
Quand vous m’aidiez à remettre mon pardessus :
— Mais non, mais non, ne vous donnez donc pas la peine…
Et je ne m’attarderai guère
A contempler, comme naguère,
A travers les volets volontiers entr’ouverts
Le couvert,
La table dressée et servie,
Fleurs, cristaux et argenterie,
Les petits pains dorés, auprès,
Tout prêts, tout frais, —
Et les cure-dents ironiques,
Aux pauvres diables faisant la nique,
Et la carte des vins, faussement débonnaire…
Petite table, qui grelottes,
Solitaire, devant la porte
Du marchand de vins et liqueurs,
Non plus auprès de moi convient-il que ton cœur
En protestations s’épanche :
— Cela a-t-il une raison,
De me faire en cette saison,
Sortir encor, le soir, en nappe blanche ?… —
Tout cela, voyez-vous, tout cela m’est égal :
Plus de festins, plus de régal ; —
Seulement des baisers, ma belle, tes baisers,
Dont il me reste à apaiser,
Lèvres inassouvies, l’appétit, la fringale !
Oui, belle, à ta beauté, c’est là que je m’attable,
— L’amour passe avec le printemps,
Nous n’aurons pas toujours vingt ans,
Adieu notre petite table… —
Ta bouche fraîche
Comme une pêche,
Comme une pêche d’Argenteuil,
Et l’eau profonde de ton œil,
Tes cheveux blonds,
Souples et longs,
En fous frisons
Près de l’oreille,
Toute la fleur de ta beauté jeune et vermeille,
Voilà le menu sans pareil :
Cueillons la fleur,
Et cueillons l’heure, —
Cueillons l’heure et le jour, belle, cueillons, cueillons, —
Car l’ultime repas dont nous nous repaîtrons,
C’est un déjeuner de soleil.

FIN DES PLAISIRS DE LA TABLE

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