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La nouvelle cuisinière bourgeoise: Plaisirs de la table et soucis du ménage

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PAIN BÉNIT

La petite église où, touriste égaré,
La petite église où je suis entré,
Était si fraîche, et sombre, et calme ;
Pas de bedeau, pas de curé ;
Dans leur niche, des beaux messieurs de bois doré,
Des belles dames,
Me faisaient signe gentiment, avec leur palme…
Au dossier des chaises et des prie-Dieu,
Où la paille le cède au velours vert et bleu,
J’ai déchiffré le nom des pieuses demoiselles,
Que la cloche appelle, fidèles,
Chaque matin en ce saint lieu :
Berthe Gadou, Blanche Pélissier, Marie Andrieu,
Agathe, et Sophie et Adèle, —
Une larme monte à mes yeux ;
Car je les vois là-bas, les saintes filles,
Dans leur chambre claire et propre, près de la fenêtre,
Qui travaillent, — le bon vieux prêtre,
En traversant la rue tranquille,
Les a saluées de la tête :
Pourvu qu’il n’ait pas vu le surplis qu’en cachette,
Surplis, surprise, on veut lui broder pour sa fête ;
Et plus vite, et plus alerte, reprend l’aiguille.
Être un membre de leur famille !
Elles nous recevraient joyeuses : le voici,
Le méchant cousin de Paris !
Elles nous feraient goûter leurs confitures
Et leur cassis,
Et prieraient tant pour nous gagner le paradis,
Que nous irions tout droit, bien sûr !
Ah ! pourquoi faut-il que je sois
Celui qui passe, et va, et vient,
Sans s’arrêter ni croire à rien ;
Heureux les sages qui s’assoient,
Respectables et paisibles fabriciens,
A ce banc d’œuvre, avec un gros paroissien
Et une calotte de soie !
Comme il fait bon errer au sanctuaire
Silencieux et désert ;
Ma main indiscrète a ouvert
L’harmonium qui se lamente et dit sa peine :
Hélas ! quand partira la jeune châtelaine
Qui voudrait l’accommoder au Tannhauser, —
Oh ! ce Wagner ! —
Hélas ! quand reviendra l’hiver,
L’institutrice et ses mitaines,
Et qui ne joue que la Valse des Roses :
Entre chacun des chants sacrés,
Avant l’élévation, pendant, après,
Au rythme d’un accompagnement sobre et discret,
C’est toujours cette valse et ses métamorphoses ;
La brave fille ne sait pas autre chose, —
Le bon Dieu ne lui en aura que plus de gré. —
Aux sons d’une musique comme cela,
Je voudrais que l’on m’enterrât
Dans cette église :
Le bon sommeil qu’on ferait là,
Sous une de ces dalles grises !
Or, voici que mon œil avise,
Cherchant à terre
L’épitaphe de quelque abbé commendataire,
Sur une des dalles, soudain,
Un petit morceau de pain.
— Monsieur, murmure-t-il, écoutez ma prière,
Ne me trahissez pas auprès de la chaisière,
Car aussitôt elle viendrait me balayer,
Méticuleuse et sans pitié,
Et ce serait fini de ma joie la première ;
Si vous saviez, si vous saviez…
Dans la splendeur des moissons blondes,
Épi dressé parmi les gerbes,
J’ai chanté mon hymne superbe
Au divin Créateur du monde ;
Puis je rêvais, fleur de farine,
Qu’en grande pompe on m’apportait en dîme
Au prieur vénéré de l’abbaye voisine ;
Espoir extrahumain,
Ambition ultime,
Libre de tout levain,
Ah ! devenir du pain
Azyme !
Hélas ! il en fallait rabattre ;
Le boulanger qui fabriqua ma pâte
N’est pas une mauvaise pâte ;
Mais, au Conseil municipal,
Il représente la fraction anticléricale.
Songez alors, songez donc combien j’ai souffert,
Pour les principes religieux qui m’étaient chers :
Un beau dimanche, pendant l’office,
Gravement escorté du suisse
Vêtu en amiral suisse,
Dans la corbeille, aux mains d’un jeune clerc,
Jamais je ne serais offert,
Et nul, en me prenant, ne dirait un Pater.
Petit garçon, Dieu te bénisse,
Qui, du moins, au parvis sacré me fis tomber,
Goûter inachevé, lorsque monsieur l’abbé
Te gourmandait, en retard pour le catéchisme ;
Maintenant, maintenant, du temple du Seigneur,
Vous ne me ferez pas chasser, bon voyageur,
Par le balai irréfléchi de cette femme ;
Vous me laisserez dans mon coin,
Paisiblement songer aux soins
De mon âme, —
Et de la vôtre aussi, s’il vous en est besoin. —
— Sans doute, remerciai-je, sans doute ;
Heureux ceux dont la foi est forte,
Et que laisse en repos le doute ;
Va, ta vie est meilleure à vivre de la sorte,
Croûte de pain derrière la porte,
Et cela vaut mieux, somme toute,
Que toutes
Nos courses vers un but vain que le vent emporte, —
L’avenir fait de mort, le passé lettre morte, —
Que toutes nos courses frivoles…
Mie, adieu ; Dieu te garde, croûte !… —
Et, touriste égaré, je fuyais par les routes
Sur ma voiturette à pétrole.
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