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La nouvelle cuisinière bourgeoise: Plaisirs de la table et soucis du ménage
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PALAIS-ROYAL
Je songe avec attendrissement
Que, d’une lointaine localité départementale,
D’un chef-lieu de canton ou d’arrondissement,
Un homme, l’on ne sait comment,
Serait venu pour s’offrir un régal
Sous vos lambris dorés, Palais Royal !
Et l’homme arpenterait, conquérant et grivois,
Votre galerie de Valois,
Et voudrait satisfaire à des goûts dépensiers
Dans la seule galerie Montpensier.
Car il aurait vidé son bas de laine,
D’or et d’écus rempli ses poches ;
Nargue à la mort qui tôt nous fauche :
Tant qu’un peu de sang chaud coule encor dans nos veines,
Palais-Royal, palais des royales débauches,
A nous l’orgie et que l’on mène,
Une heure, un jour, une semaine,
La grande vie parisienne !
Bonne cuisine
Et parties fines :
Palais-Royal, palais de la débauche !
De galerie en galerie il irait donc,
Fidèle aux vieilles traditions ;
Sur les dalles, son pas qui sonne…
Et, naturellement, il ne rencontrerait personne.
Où sont les grandes courtisanes,
Les lionnes, Léa, Liane,
Et les lions ?
Où sont toutes les célébrités contemporaines
Se peut-il qu’en tel endroit règne
Aussi peu d’animation ?
Si ce n’est pas là qu’on la mène,
La grande vie parisienne,
Où la mène-t-on ?
Pourtant, des musiciens militaires,
D’un régiment de ligne ornés du numéro,
Rangés en rond, joueraient une série de numéros,
Commençant et finissant par un allegro,
— Au trot ! au trot ! —
Militaire ;
Mais seule, une vieille, s’approchant avec politesse,
Viendrait alors chercher les deux sous de sa chaise ;
Et déjà, sur le pas des portes, inquisiteurs,
Des joailliers le considéraient non sans frayeur,
Pensant : — Pour qu’un passant longe ainsi nos demeures,
Ce ne peut-être évidemment qu’un cambrioleur ! —
Notre homme un peu déçu, comme on se le figure,
Dirait : — Je vais me rattraper sur la nourriture ! —
Et aussitôt, dans un restaurant du premier étage,
On lui ferait connaître qu’il a droit
A un hors-d’œuvre (ou bien potage),
Deux plats au choix,
Dessert, fromage,
— Pouvait-il rêver davantage ? —
Sans oublier le flacon de breuvage.
Près du comptoir, rangés en file,
Desserts, hors-d’œuvre, pleins d’abandon,
Comme tous le regarderaient avec émotion,
Le thon,
Les filets de hareng et le beurre en coquilles,
Les jumelles sardines à l’huile,
Attentifs, empressés, serviles, —
Et les radis seraient plus roses d’émotion :
— Il y a si longtemps que nous vous attendions ! —
Mais lui aurait un geste de surprise désagréable,
A la solitude des salons ;
Cela manque de compagnons,
De joyeux compagnons de table ;
Et il voudrait se retirer presque aussitôt,
Malgré toute l’insistance des amandes sèches,
Des petits pots de crème fraîche,
Le gros œil larmoyant des compotes de pêche,
Et les reproches des pruneaux…
Un convive, caché jusqu’alors à sa vue,
Apparaîtrait soudain, la main tendue,
Et essuyant sa barbe en pointe :
— D’un départ qui me désappointe,
Épargnez-moi cette amère déconvenue ;
J’aime tant la société,
Je veux boire à votre santé ;
Je suis seul depuis si longtemps, — je vous en prie !
M’abandonner serait un crime ;
Paris, hélas ! ingrat Paris,
Où les garçons oublient Véry,
Où les dames vont chez Maxim !… —
(L’autre, d’ailleurs, n’aurait le traître mot compris,
A ces allusions très fines,
A la Dame de chez Maxim
Et au Garçon de chez Véry) ;
Mais, séduit par la bonne mine
D’un aimable interlocuteur :
— Pourquoi n’allez-vous pas ailleurs,
Si l’isolement vous chagrine ?
N’est-il donc qu’ici où l’on dîne ?
Vous aussi, allez chez Maxim !
Mais le premier convive aurait un haut-le-corps :
— Monsieur ignore,
Monsieur ignore qui je suis :
Aller ailleurs, je ne le puis,
Je ne le peux,
Je ne le veux. —
Et, pivotant, un éclair dans les yeux,
Sur ses souliers Molière, ou plutôt Richelieu :
— Je suis, monsieur, le cardinal de Richelieu. —
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