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La nouvelle cuisinière bourgeoise: Plaisirs de la table et soucis du ménage
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SON JOUR
C’est le jeudi ; mais pas, qu’on s’en souvienne,
Chaque jeudi : ce serait trop facile !
Première, seulement, et troisième semaine, —
Les obligations mondaines
Ont de ces nuances subtiles, —
(Encor, sans doute, faudra-t-il
Tenir compte de la lune, pleine ou pas pleine.
Et si l’année est bissextile) ; —
Le monde a sa mode, et son code :
Nos relations, amies, amis,
Sont prévenus qu’à part cela, c’est le jeudi :
C’est bien commode.
Donc, le matin de ce jour-là,
(Et d’abord, pas de chocolat,
La bonne a bien assez à faire,
A secouer toute la poussière,
Et à mettre tout en état,
Elle en a,
Elle en a la tête à l’envers),
Dès que l’aube commence à luire,
Debout, pour astiquer, frotter, faire reluire, —
Il faut que le salon fasse honneur à sa mère,
Pour que, si le bon vent la poussait à venir,
Elle n’y trouvât rien à redire ;
Il ne faut pas qu’elle soupire
Comme la dernière fois : — Ma chère,
Ma chère enfant, surveille ta torchère
Empire !
(Car enfin, on aura beau dire,
A la face du ciel, je suis encore ta mère ;)
Je viens, par curiosité,
Je viens d’en effleurer le dessous du coin droit :
Et vois mon doigt !
Ma petite enfant, souviens-toi,
En vérité je le proclame, en vérité,
Que, toute mariée qu’on soit,
Ce n’est pas un motif pour tolérer chez soi,
Pour tolérer de la saleté !
On doit
On doit sur son ménage exercer plus d’empire :
Surveille ta torchère Empire ! —
Puis, pour que le salon soit plus plaisant à l’œil,
Plus somptueux et plus séduisant son accueil,
On démeublera les autres pièces,
On trimballe mon vieux fauteuil,
A la force de mes biceps,
Le bahut Henri Deux, la commode Louis Seize :
— Toi qui as des tendances à devenir obèse,
Va, cela te rendra service :
Tu ne prends pas déjà tant d’exercice ! —
On a déjeuné sur le pouce,
L’époux de son côté, de son côté l’épouse :
Une toilette qu’on inaugure,
Il s’agit bien de s’attarder aux nourritures !
Surtout quand ce costume nouveau,
Chose plus grave,
S’agrafe sur le côté, ma chère, et dans le dos,
Et qu’il y a soixante-six agrafes !
— Et ce mari, calme et béat, qui bâfre !
Ah ! comme
Vous en avez, de la chance, vous les hommes ! —
Enfin, passé le coup de feu,
Vite un dernier regard ; on peut souffler un peu :
Ce n’est pas mal, ces fleurs rouges dans les grands vases,
Et sévères, ces plantes vertes ;
La « Nouvelle Revue » est ouverte,
Comme par hasard, en bonne place ;
La boîte à poudre, un éventail, la petite glace,
Négligemment ; et, sous la main,
Le face-à-main.
Que si du piano l’on s’approche,
Une partition s’affirme en triples croches, —
Ça va bien, ça va très bien.
Bref, l’épouse en grande toilette,
Le tralala au grand complet,
Des fleurs partout, le thé fumant, le pot au lait,
Des petits fours, des tartelettes,
Dès le premier coup de sonnette,
L’époux n’a plus qu’à s’en aller.
Cependant elle minaude aux gens qui viennent :
— Quelle bonne fortune est la mienne !
Figurez-vous, je rentre à peine !
Et, ma foi, j’ai encor failli,
(De vous manquer, quelle eût été ma peine !)
Abandonner mon jour, cette semaine.
Pour sortir avec mon mari. —
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