La nouvelle cuisinière bourgeoise: Plaisirs de la table et soucis du ménage
AVANT-PROPOS
En intitulant ce livre la Nouvelle Cuisinière Bourgeoise, je tiens à déclarer que je n’ai obéi ni à la soif irréfléchie du scandale, ni à un appétit immodéré de l’actualité : j’ai intitulé ce livre la Nouvelle Cuisinière Bourgeoise, parce que c’est vraiment une Nouvelle Cuisinière Bourgeoise, — et non par coquetterie, par calcul, par badinage, ou pour le plaisir.
J’ai dit Cuisinière :
Et ceci, en effet, est bien le livre de la cuisine. Qu’on y prenne garde, cependant : il ne s’agit pas d’un manuel, et l’amateur ou le professionnel y chercheraient en vain un ragoût spécial, une recette inédite, une formule particulière. Ainsi s’explique aussi que, pour l’étonnement de quelques esprits superficiels, j’aie cru devoir faire suivre d’un rapide aperçu des soucis du ménage, l’humble contribution que j’avais apportée à l’étude des plaisirs de la table : j’ai vu dans les misères de l’un une contre-partie nécessaire, un complément logique et immédiat aux satisfactions de l’autre.
Car s’il est vrai qu’un appartement de garçon, en plus de deux pièces et d’une entrée, comporte également une cuisine, le célibat du locataire n’en voue pas moins cette dernière, cathédrale désaffectée, à des hospitalités sans relations avec le titre dont elle s’honore et se décore : bicyclette, ou matériel photographique, tub parfois, vieilles chaussures, — et les malles où s’affirme, en étiquettes répétées et multicolores, petite patrie dans la grande, la province des vieux parents qu’on va embrasser aux vacances : un jour leur rêve cher s’exaucera sans doute, à ces vieux parents, et, de cette province, la jeune épouse sera ramenée ; — et alors, pour une vie nouvelle, une nouvelle cuisine, rétablie en splendeur, et répudiant les compromis, flamboiera de tous ses cuivres : la Cuisine, base des ménages, pierre angulaire de la famille.
Mais c’est ici qu’apparaît l’intention moralisatrice de ce livre, et qu’un enseignement s’en dégage : Scylla matrimonial près du Charybde gastralgique, vous que guidèrent seuls à l’autel la lassitude des tables d’hôte et l’écœurement des restaurants, — voici les soucis du ménage : mais sur ton estomac ragaillardi par le bouilli de la famille, peut-être ces soucis pèseront-ils moins lourd !
J’ai dit Bourgeoise :
A distance égale des bas-fonds où tel psychologue, intrépide scaphandrier du vice, cueille les perles de ses observations, et de ces salons de haute aristocratie, dont tel autre écrivain, le stick de gentleman emmanchant sa plume d’or, se complaira à décrire le confort britannique, le luxe cosmopolite et raffiné, notre inspiration s’est toujours attardée plus volontiers en ces milieux de saine et moyenne bourgeoisie, Chambre de commerce, Succursale de la Banque de France, Cercle de l’Agriculture, Cabinet du sous-préfet : auprès de vous, fonctionnaires républicains, honorables gens de négoce, représentants modestes des grandes carrières libérales, petits propriétaires terriens : vous tous, en un mot, dont les filles ont quarante mille francs de dot, et dont les fils se préparent à l’École Polytechnique ; — n’est-ce pas là, en effet, le vrai cœur de la France, la moelle de l’esprit français ?
J’ai dit Nouvelle :
Lorsqu’une Cuisinière Bourgeoise vient à paraître, elle est toujours la Nouvelle, ou la Véritable. De ces deux épithètes, si la première arrêta mon choix, je supplie que l’on n’y voie nulle prétention à l’originalité exclusive, nul dédain non plus d’une parfaite sincérité. Simplement ai-je cru remarquer qu’un point de vue particulier, une forme différente, m’autorisaient, parmi les brillantes publications similaires, à nommer la mienne : la nouvelle. Mais peut-être restera-t-il à expliquer pourquoi ce point de vue et pourquoi cette forme, et qui m’incita à écrire cette nouvelle cuisinière bourgeoise, alors que rien dans ma vie, dans mes goûts, ni dans mes habitudes, ne décèlent l’homme accablé par les siens, moins encore à l’affût des nourritures fines ?
Les personnes qui me font l’honneur de me suivre l’ont déjà deviné : j’ai parlé en ces termes de la cuisine et du ménage, comme j’aurais parlé d’autre chose, comme je parlerai de toutes choses, — parce qu’il faudra bien que je parle de toutes les choses. Esclave de la mission impérieuse que je me suis fixée, je continue patiemment mon petit travail, m’efforçant à exprimer le maximum de lyrisme, que peut contenir notre ambiance quotidienne. Il arrive ce qui arrive : ici le rythme régulier se précipitera plus nombreux, des rimes plus riches éclateront parmi les assonances ; je n’ai pas de parti pris ; je continue, dis-je, je continuerai aussi longtemps qu’il le faudra ; d’autres bons esprits m’aideront dans cette œuvre, certains ont déjà commencé ; j’ai la satisfaction intime et profonde de constater que ça se gagne : ainsi du moins, par mes soins ou par ceux des autres, quand tout y aura passé, — enfin pourra-t-on écrire tranquillement en prose.
J’offre au public cette Nouvelle Cuisinière Bourgeoise, parce que c’est vraiment une Nouvelle Cuisinière Bourgeoise, — et non par coquetterie, par calcul, par badinage, ou pour le plaisir.
F.-N.