Histoire du XIXe siècle (volume 2/3) : $b II. Jusqu'au dix-huit Brumaire
CHAPITRE VII
LA FAUSSE ÉLECTION DE 97. — MORT DE BABEUF (26 MAI).
L’indulgence excessive des procès royalistes, les fusillades atroces des procès jacobins, montrèrent suffisamment au parti monarchique qu’il pouvait tout oser, et que, quoi qu’il osât, on ne punirait que ses adversaires.
Cela commença par des farces, des amusements de jeunes gens, qui, la nuit, abattaient les arbres de liberté. Puis ils trouvèrent plus gai d’en prévenir l’autorité insolemment. Alors, on osa davantage ; on s’amusa, la nuit, à arrêter les diligences. Histoire de rire. Mais quand elles étaient chargées de l’argent des impositions, on le prenait. Histoire de rire. D’ailleurs, n’était-ce pas l’argent du roi ? Des fonctionnaires mal appris qui réprouvaient ces choses furent poignardés. On s’amusait aussi à tirer des coups de fusil aux acquéreurs de biens nationaux. Ceux qui tirent sont pris, jugés, absous. Les tribunaux ont peur, et les acquéreurs patriotes sont traités comme des bêtes fauves.
Un courageux juge de paix osait commencer des poursuites contre les royalistes. Mais c’est lui que l’on met en jugement.
Partout les prêtres réfractaires prêchent le meurtre, les vengeances. Ils organisent deux petites Vendées, au Vivarais et aux Alpes-Maritimes, et guident les bandes sauvages des barbets.
La guerre civile est imminente. C’est alors que Boissy d’Anglas, toujours sous son impression de Prairial, et craignant une jacquerie jacobine, obtint pour son département, l’Ardèche, qu’on y fît venir de Marseille le général Willot accusé justement comme traître par l’armée d’Italie ; il arrive, pour porter secours aux royalistes triomphants. Le long du Rhône, grâce à lui, ils eussent massacré à leur aise les républicains. Heureusement, la Drôme, un département vigoureux, coupa l’horrible chaîne qui, de Marseille, allait s’étendre à Lyon.
Que faisait donc le Directoire ? A toute tentative pour remettre un peu d’ordre, on lui criait : « Laissez agir la liberté ! c’est la lance d’Achille. Elle guérit les maux qu’elle fait. » De sorte que la Réveillère et la majorité républicaine du Directoire étant paralysés par les journaux, le grand public, muets comme de simples comparses, pouvaient tout au plus dire des choses purement théoriques : « Les principes permettent…, ou : ne permettent pas. »
Vive la liberté ! disaient les royalistes, et ils poussaient à l’élection les masses de leurs paysans d’hier, bêtes brutes, qui avaient hâte de retomber à quatre pattes. Ailleurs, si les patriotes quelque part étaient forts, les royalistes prenaient les poignards et les pistolets. A Mortagne, deux républicains sont tués, et beaucoup sont blessés. Dans vingt-six départements, les assassinats furent si nombreux, qu’un agent des royalistes et des Autrichiens, qui faisait leur correspondance à Strasbourg, la baronne de Reich, s’en alarma, trouvant qu’il était absurde de jeter le masque si tôt.
Quoi ! dira-t-on, la masse ne s’opposait à rien. Elle était donc bien refroidie ! La France est donc bien versatile ? — Non, la grande majorité était toujours pour la Révolution, mais peu à peu s’était mise à l’écart, reculée sur le second plan. Tel avait été jacobin et craignait des vengeances. Tel avait acheté des biens nationaux ; dans l’inquiet souci de sa propriété nouvelle, ne voulait rien autre que (s’il pouvait) être oublié. Tout au contraire, les royalistes apportaient aux élections des passions furieuses, la haine et la vengeance, l’âpreté du chasseur et sa férocité. Les compagnons de Jésus avaient partout reparu, à Lyon, dans le Midi. Les tribunaux n’osaient rien ; les gendarmes avaient peur et ne voulaient rien voir. Aussi, les royalistes, agents électoraux le jour, la nuit changeaient de rôle, et souvent forçaient les maisons, étendaient la terreur par d’horribles sévices de chauffeurs qu’on racontait partout et qui, longtemps après, dans mon enfance, terrifiaient encore les campagnes. Voilà sous quelle pression se fit l’élection du nouveau tiers.
Pendant l’élection, que disaient, à Paris, les sages et gens d’affaires, les gens paisibles, etc. ? « On a signé à Léoben ; voici enfin la paix. Mais les préliminaires ne sont pas encore complétés tout à fait. Ne troublons rien, et laissons aller doucement l’élection. Nous pourrions gâter la grande affaire. Carnot et Bonaparte ne sont pas maladroits. Qui le croirait. Ce Bonaparte est l’ange de la paix ; il est si passionné pour elle, qu’il a rendu cinq provinces des Alpes à l’Empereur. — Et Venise ? — Qu’importe ? Ne soufflons mot, nous empêcherions tout. »
Dans cette joie publique, il y avait bien encore un certain trouble-fête, du côté de Vendôme. Babeuf, Darthé vivaient. Partout aux familles timides, aux femmes, on rappelait que Darthé, c’était Lebon même, une terreur plus sauvage que celle de Robespierre. Et, aux inquiétudes de la propriété, on présentait Babeuf, l’abîme immense du grand partage qui ruinerait tout, anciens, nouveaux propriétaires, et les mettrait tous en chemise.
Vaines alarmes qui, au premier moment, avaient pu avoir leur vraisemblance, comme tentation de pillage, comme une dangereuse étincelle, un incendie peut-être dans les classes nécessiteuses ; mais en 97, après l’horreur générale qui avait accueilli Babeuf, elles apparaissaient dans leur réalité : rien qu’un fort bon secours pour l’élection royaliste.
Enfin ils ont vaincu, ces royalistes, les voilà installés. Pourquoi un sacrifice humain ? On n’avait rien trouvé contre Babeuf que ses rêves, de vaines paperasses, qu’il avait, il est vrai, rendues plus sérieuses par son orgueil, des menaces insensées.
N’importe, on fit pour ces faux députés, ce tiers si mal élu qui arrivait et venait à peine de s’asseoir, une chose agréable, et agréable aussi à beaucoup de propriétaires, agioteurs et autres dont les titres ne valaient guère, de leur ôter ce poids de la poitrine, de leur dire : « Respirez… L’avenir est maintenant paisible et sans nuage. Ne craignez rien. Babeuf est tué. »
Il avait été condamné à mort avec Darthé. Ils firent comme ceux de Prairial. Ils se poignardèrent, mais ne purent que se blesser horriblement, et furent guillotinés le lendemain (26 mai 97).