Histoire du XIXe siècle (volume 2/3) : $b II. Jusqu'au dix-huit Brumaire
CHAPITRE IV
LE ROI BRISE LE PARLEMENT. — PROCÈS
ET ABSOLUTION D’HASTINGS. — 1785-95.
Derrière ce grand procès, entre le roi et le parlement, entre le roi et la constitution un autre allait venir dont on ne parlait pas encore, mais qu’on voyait à l’horizon, et qui, je crois, intéressait autant, partageait en deux armées contraires toute la banque de Londres et Calcutta, le procès d’Hastings, le gouverneur des Indes. Cet homme adroit, malgré les charges graves qui pesaient sur lui, avait plu extrêmement à Georges III et à beaucoup de gens intéressés à ce que toutes ces affaires mal odorantes de l’Inde fussent traitées avec des ménagements convenables par une nouvelle chambre, plus discrète, et non pas ventilées indécemment par les bruyants amis de Fox.
Il y avait à Londres un banquier anglais de Calcutta, certain Benfield, qui, jadis simple petit commis, avait si bien fait ses affaires, qu’il avait pu (disait-il) prêter à la Compagnie quarante ou cinquante millions. Cet homme, avec ses amis, travailla habilement, vaillamment l’élection du nouveau parlement et se mit si bien près de Pitt, que la Compagnie des Indes prit peur et n’osa plus nier cette dette honteuse de cinquante millions. Dès qu’on la reconnut, cette dette, elle grossit de maintes et maintes choses. On en ajourna l’examen. Il était fort essentiel qu’il ne se fît jamais que par des gens amis, un peu myopes, qui ne regardassent pas de près. Cette myopie dura d’abord pendant vingt ans jusqu’à la mort de M. Pitt, jusqu’en 1806. Mais alors, au milieu du grand combat européen, on avait autre chose à faire. On ne s’en avisa qu’après Waterloo, en 1815, lorsqu’on eut du loisir. Et alors, au bout de trente ans, on s’aperçut que la fameuse dette était fausse, ou du moins étonnamment surfaite, ne montant qu’au vingtième de la somme réclamée et payée !
Ce grand mystère était-il un mystère ? Il avait dû être connu de l’administration et de beaucoup de personnes. Mais, pendant trente ans, on avait jugé qu’il était prudent de se taire, d’ajourner cette révélation peu agréable à tant de gens considérés.
L’habile électeur, ce Paul Benfield, l’élection faite et une chambre passable installée, retourna tranquillement à Calcutta, comptant sur Pitt et sur l’empressement qu’il mettrait à donner aux Indes une administration discrète, toute royale, toute ministérielle, qui ferait les choses sans bruit, perpétuerait la nuit et le silence.
En effet, M. Pitt reçut avec confiance et fit accepter à la nouvelle chambre le plan que lui fournit un ami de Benfield, Richard Atkinson. Ce plan remettait l’Inde au roi en toute chose politique, et à un bureau de contrôle qui siégerait à Londres de par le roi. Aux Indes, le gouverneur du roi aurait un grand pouvoir, une grande liberté d’action. Le roi passa ce grand pouvoir à son aide de camp Cornwallis.
Cette nomination étonnait d’autant plus qu’à ce moment venait de débarquer à Londres la preuve vivante du danger qu’il y avait à constituer aux Indes cette espèce de roi. Le dernier gouverneur, Warren Hastings, débarquait tout chargé des accusations de la Compagnie et de celle des cent nations de l’Inde. De sorte qu’on proposait d’épaissir les ténèbres au moment où l’on apercevait les maux, les ulcères effroyables qu’elles n’avaient pu cacher tout à fait.
On croyait que sous Georges l’honnête roi, sous la morale dynastie de Hanovre, Hastings, mettant le pied en Angleterre, pourrait fort bien être arrêté. Il le fut, mais seulement, par un charmant accueil du roi qui, ravi de voir un homme si fin, dit : « Ce drôle est bien adroit ! que de gens me parlent pour lui ! Si je le faisais ministre ? »
Ce n’était pas l’avis de M. Pitt. Cette turpitude royale le fit rougir. Et alors, chose inattendue, il joua supérieurement le menuet parlementaire dont j’ai parlé, se rapprocha de Fox, de ceux qui accusaient Hastings, mais fort modérément, voulant bien qu’il fût accusé, écarté des affaires, mais qu’il le fût faiblement et que le procès avortât.
Avortement peu vraisemblable. Hastings, arrivait remarqué, et on peut dire, traîné, happé, par ce terrible dogue Francis, qui ne lâchait pas prise, le tenant par mille preuves. L’éloquence colérique de Burke allait en profiter et donner au procès un éclat effroyable dans toute l’Europe. Fox, précipité du pouvoir, trouvait dans ce procès une revanche, et, de plus, un triomphe d’humanité. Son grand cœur avait entendu les soupirs et les pleurs du pauvre monde indien, et le voyait venir, les mains jointes devant l’Angleterre.
Le jeune Pitt aimait l’ordre, et, sans son intérêt électoral et son rôle obligé de serviteur du roi, il eût suivi la voie de son illustre père qui, sur cette question, se décida magnanimement contre ses intérêts. Quand le conquérant Clive vint voir Chatham à Londres et proposa que la Couronne et les ministres prissent le gouvernement de la conquête, Chatham répondit, non en ministre, mais en grand citoyen : « Si la Couronne avait un revenu si considérable, cet agrandissement du pouvoir royal serait contraire aux libertés publiques. »
M. Pitt, tout au rebours de son père, accepta cet agrandissement et le pouvoir immense qu’eut dès lors la Couronne de donner les emplois dans l’Inde. Il devait, par pudeur, se détourner d’Hastings ; mais il ne pouvait que favoriser en dessous un homme si utile qui avait fait dans l’Inde la révolution la plus avantageuse aux natifs anglais contre les indigènes, en donnant toutes les places aux premiers et ouvrant cette riche mine à la corruption électorale.
Avant Hastings, l’Inde était déjà une ressource pour les familles, pour les cadets qu’on y envoyait de bonne heure. L’enfant, parti tout jeune, pouvait, sous l’abri de la Compagnie, faire un peu de commerce, en s’associant un homme du pays, un adroit Banian. Mais cela ne menait pas loin. Au contraire, Hastings réservant aux Anglais toute place lucrative dans l’administration, dans l’armée et la judicature, donnait des postes fixes et une assiette aux jeunes émigrants. Le cadet bien placé n’avait qu’un tour à faire en Angleterre pour se marier convenablement dans une bonne famille, qui l’épaulait et le portait plus haut. Toute maison qui avait des cadets et des filles, se sentait fortement liée par le patronage d’Hastings qui leur rendait possible leur établissement.
M. Macaulay, un homme très fin, ne justifie pas Hastings, mais il montre combien de personnes aimables et respectables faisaient des vœux pour lui. Il montre, au début du procès, la foule de dames vertueuses et charmantes, qui s’intéressant à cette cause, vinrent à l’ouverture du procès, et même pour ce jour mirent leurs plus beaux diamants. L’accusé, visiblement homme d’esprit et distingué, par son extérieur favorable réfutait, même sans parler, tant d’accusations monstrueuses. Mais l’impression devint tout à fait bonne quand il raconta l’histoire, si bien imaginée, vraisemblable après tout, de son premier point de départ : « Fils d’une famille ruinée, il avait vu le modeste château de ses pères passer par adjudication à l’étranger. Il s’en éloignait lentement, quand parvenu à une colline, il se retourna, et vit, les yeux humides, la maison et son pleasure ground dans les teintes suaves, le sourire du couchant ; il fut touché au cœur, et il se jura à lui-même de revenir et de racheter à tout prix le manoir paternel. »
Que de beaux yeux pleurèrent en entendant cela ! Et combien d’hommes mêmes cachaient leur émotion ! Il avait touché la vraie fibre anglaise. Et l’on comprit très bien qu’il avait dû faire l’impossible pour atteindre ce but. Plus d’un, dans cette grande foule, put se dire : « Moi, je ne vaux pas mieux. Et pour cela, qui sait ? j’aurais pu faire autant, et pis ! »
On se souvient du mot de Henri de Lancastre (Henri IV), quand de l’exil il revint en Angleterre. — A Richard II qui dit : « Que voulez-vous avec tant d’hommes d’armes ? — Moi, rien, répond Lancastre, sinon reprendre le manoir et la terre de mes pères. » Ce mot frappe tout le monde, toute l’Angleterre suit Lancastre, et il est forcé d’être roi.
De même Hastings, en appelant ainsi aux sentiments les plus forts des Anglais : la propriété, le manoir, les souvenirs de famille, eut tous les cœurs pour lui. Les cent millions d’Indiens furent oubliés.
Au reste la chambre des Communes, en renvoyant l’accusation aux Pairs, avait eu soin d’en retirer une chose trop odieuse, terrible, un grand crime individuel. C’est le seul acte, je l’avoue, qui aujourd’hui encore rende implacable pour cet homme, et c’est aussi surtout cet acte que les biographes ont pris soin d’atténuer.
Hastings était arrivé au pouvoir avec un système tout différent de ses prédécesseurs. Notre Dupleix, avait vu deux choses que n’aperçurent pas les Anglais : que les femmes de l’Inde peuvent y prendre un grand ascendant (il y parut bientôt quand une femme gouverna vingt années les tribus belliqueuses des Mahrattas) et que les Européens pourraient, par des mariages, tourner cet ascendant à leur profit. Dupleix épousa une dame de l’Inde qui en savait tous les dialectes et qui correspondait pour lui avec tous les rajahs. Les Anglais comprirent peu cette habileté. Clive, un simple commis marchand qui s’éleva uniquement par sa vaillance et son audace, était un homme rude. Mais à travers cette babel de langues et de mœurs inconnues, tout un monde d’affaires difficiles, il eut le bon sens d’employer les musulmans de l’Inde, énergiques et intelligents, plus graves que les Indiens proprement dits. Hastings espéra davantage ; il crut qu’en se faisant un peu instruire par les gens du pays, il pourrait bientôt s’en passer, écarter à la fois les musulmans et la grande masse des natifs. Guidé par ceux-ci, tout d’abord, il emprisonna les ministres musulmans qui avaient gouverné jusque-là. Mais, en se servant contre eux des Indiens, il ne les traitait pas mieux. Ceux-ci, c’était un monde immense, civilisé et doux, qui savait les hommes et les choses du pays, sans lequel on ne pouvait rien. Hastings eut l’idée saugrenue de les remplacer tous par des Anglais élevés à la hâte et discordants d’ailleurs avec les mœurs de la contrée. Enfin de faire une Angleterre dans l’Inde. De là mille vexations pour éloigner les indigènes, les repousser des places que jusque-là ils occupaient.
La Compagnie, ses directeurs, n’étaient guère plus contents que les Indiens, voyant le gouverneur agir en roi, faire sans eux la paix et la guerre, conquérir des peuples indiens ou les exterminer. Ils virent avec plaisir venir à eux l’homme de combat, Francis qui montra les dents au tyran. Mais le tyran très fin disait lui-même qu’il ne voulait rien que justice. Il provoqua à Calcutta l’érection d’une haute cour, indépendante de la Compagnie.
Cette cour, nommée à la sollicitation du gouverneur et lui devant ses grosses places et ses énormes traitements, allait dépendre de lui seul, et le servir envers et contre tous.
Arrêtons-nous ici, et rappelons ce que Bentham et tant d’autres Anglais ont dit de leur pays. Sa fidélité au passé, son respect pour les vieilles lois saxonnes, normandes, etc., ont fait de l’Angleterre une babel juridique où les légistes eux-mêmes se reconnaissent à peine. Les hommes riches et considérables qui se trouvent juges des comtés, sont trop heureux d’avoir des clercs qui, bien payés, les guident. De là un peuple immense de gens d’affaires, de juges secondaires, souvent peu scrupuleux et fort avides. Hastings recruta là son nouveau tribunal et n’eut pas de peine à y mettre des gens qui, placés là par lui, devaient juger pour lui et dans son intérêt.
Cependant les directeurs continuaient de l’accuser, trouvant ses comptes peu réguliers. En cela ils étaient aidés par Francis qui eût voulu de plus une réforme générale pour protéger un peu les malheureux Indiens. Les défenseurs d’Hastings disaient qu’il avait mis dans le pays une meilleure police. Il y avait moins de voleurs. Cependant une chose frappe, c’est qu’en ce système tout anglais, les domestiques, clients et agents des Anglais, n’ayant point la justice à craindre, étaient (à petit bruit) d’affreux tyrans. La grande plaie de l’Inde, les enlèvements et les ventes d’enfants avaient augmenté.
Le dernier des ministres indiens, le brave Nuncomar, avait été d’abord employé par Hastings qui s’en servait contre les musulmans. Il le destitua, l’accusa, et Nuncomar, sans doute enhardi par Francis, osa accuser Hastings à son tour. Là on s’aperçut un peu tard que celui-ci était terriblement armé. Ce tribunal qu’il avait constitué montra alors, comme une épée, une patente royale qui le rendait indépendant des directeurs et de la Compagnie. Bel hommage, au principe qui veut que la justice soit libre des pouvoirs administratifs. Ainsi, ces administrateurs qui avaient fait, en réalité, ce grand empire, trouvèrent que la Couronne les soumettait à de petits procureurs venus hier de Londres. Ces légistes, fort plats en Angleterre, fort rogues à Calcutta, avec leur patente royale et les troupes d’Hastings, purent se moquer parfaitement des créateurs de l’empire indien et de Francis, le grand réformateur. Intrépides de leur ignorance, ne sachant pas les langues du pays (il leur fallait pour tout des interprètes), ils procédèrent d’autant plus hardiment ; on accusa l’accusateur indien. On l’arrêta comme coupable d’un faux qu’il aurait commis autrefois ; de plus, chose inouïe (plaisante dans un pays polygamique), on l’accusa du crime d’avoir plus d’une femme. Faute grave contre la loi chrétienne, contre la loi anglaise. Mais cette loi anglaise, les juges la violèrent cruellement, car, sans forme, délai, ni sursis, l’Indien fut le même jour jugé, pendu et étranglé.
Et cela, devant une foule immense, désolée et en pleurs, qui n’osa essayer la moindre résistance, mais sentit dans le supplice du brame, de l’homme principal du pays, la mort de l’Inde, crut mourir ce jour-là.
Avec raison, dès lors ce fut fini. Ce rapport entre les deux races que Dupleix, et même Clive, avait su respecter et qui par mariage, se serait augmenté, fut rompu, et les Anglais tentèrent cette chose, impossible, de faire tout, remplir tout, et profiter de tout, d’administrer et juger sans comprendre[13].
[13] L’homme du roi, le sage Cornwallis, comprit, en arrivant aux Indes, que, pour perpétuer cette gageure, il fallait des traitements énormes, monstrueux. — Avec les meilleures écoles, en Europe et aux Indes, comment espérer que des jeunes gens, impatients de se placer, de s’amuser, apprendront rapidement six ou huit langues difficiles. Ils n’y parviennent pas. Il leur faut l’interprète. Jamais sans les Indiens, ils ne pourraient rien faire, ni même tyranniser l’Inde. — IL faut que les Anglais soient un peuple bien grave pour ne pas rire eux-mêmes de cette comédie.
Les commencements valaient mieux. On espérait alors créer de solides liens entre les deux pays. Je suis heureux ici de pouvoir rendre hommage à la mémoire de William Jones, dont les travaux m’ont tant servi. Son Digest Hindou fut jadis un de mes livres favoris. Ce grand érudit fut lui-même un charmant poète. Il avait rêvé d’associer les origines indiennes et celtiques, Ossian et Calidasa. Seul, délaissé par sa femme malade, restant en Orient, pour y mourir, il s’adresse ainsi aux bons génies de l’Inde, à la divinité du Soleil, (Sureya) : « Si les hommes demandent quel mortel élève ainsi la voix, dis, ô dieu (car tes regards embrassent le ciel, la terre, l’océan), dis que du sein de l’île d’Argent, là-bas, au loin, de cette terre où les astres sourient d’un éclat plus doux, un homme est venu, et bégayant notre langue divine, bien qu’il ne soit pas issu de Brahma, il a tiré, de sa source la plus pure, la science orientale à travers des souterrains longtemps fermés et des sentiers longtemps obscurs. »
Le procès fut donc réduit aux moindres griefs, concussions et cruelles extorsions. Mais Hastings ferma la bouche, disant qu’il ne les commettait que pour des nécessités publiques, les besoins absolus de la Compagnie. On glissa sur les guerres qu’il avait faites sans autorisation. Ainsi réduit, le procès ennuyait. Dans les sept ou huit ans qu’il dura, le public se refroidit fort, et l’impatience se tourna contre les accusateurs. Les défenseurs d’Hastings, bien sûrs de leur affaire et se tenant à cheval sur les formes techniques de la procédure, s’arrêtaient peu à discuter. Chaque fois que l’accusateur Burke se plaignait qu’on éternisât le procès en s’attachant aux règles des tribunaux ordinaires, le chancelier répondait que ces règles, sécurité du pauvre accusé, ne pouvaient être trop suivies. Alors on appela douze jurisconsultes et on les consulta. On n’en tira que des éloges enthousiastes des formes légales : « Heureuse ! trop heureuse Angleterre ! où l’accusé est ainsi garanti ! »
La Compagnie elle-même avait beau dire que les comptes d’Hastings étaient brouillés, obscurs et inintelligibles, la masse des gens de loi répondait par de nouveaux hymnes sur la bonne justice anglaise où l’innocence est si bien à l’abri.
Ces retards servaient fort Hastings. Tous ceux qui arrivaient de l’Inde, gras des places qu’il avait données, ne manquaient pas de chanter ses louanges. La comédie d’un tel concert était si fade qu’Hastings s’en ennuyait lui-même, se plaignait des lenteurs (qu’on faisait dans son intérêt).
On avait refusé d’entendre l’homme qui savait le mieux les choses, les eût trop éclaircies, Francis (Junius). Et en même temps on refusait à Burke les pièces qui lui étaient nécessaires. De sorte que, le tenant désarmé de preuves, on lui reprochait de ne pas prouver. Les choses en vinrent au point que les accusateurs peu à peu se trouvèrent accusés. L’indignation mettant Burke en fureur le rendait odieux, insupportable à la grande assemblée. Son éloquence irlandaise qui aurait agi aux Communes, était odieuse aux Pairs, si bien que l’archevêque d’York lui reprocha d’avoir soif de sang, et l’appela Marat.
Il trouvait qu’en traînant le procès sept années seulement, on avait imité la promptitude meurtrière de nos Terroristes. « Dans une affaire capitale, disait-on, il vaut mieux aller lentement. »
Le 6 mai 94, après ce beau procès, les débats furent clos et Hastings reluisit dans toute sa pureté d’innocence.
Pitt s’était réservé. Il s’attachait en tout à la morale. On avait remarqué que, dans les jours scabreux où sa politique l’entraînait, il quittait sa place de ministre et allait humblement s’asseoir près du grand philanthrope si respecté, l’excellent Wilberforce.
L’Angleterre était calme alors, heureuse de ses agrandissements lointains et de sa fixité intérieure. Elle croyait toujours que la Couronne était la pierre de l’angle de ce bel édifice. La maison de Hanovre, par sa médiocrité même, lui plaisait. Quand Georges devint fou, tous s’y intéressèrent et se mirent en prières. Il revint, il reprit ce qu’en appelait son bon sens. Ce fut une joie, une fête universelle.
Tout cela répondait si peu au portrait fantaisiste que Montesquieu et autres avaient tracé de l’Angleterre, que les nôtres la croyaient en captivité et fort impatiente de sa délivrance. Hoche, Monge et Bonaparte disaient : « Délivrons l’Angleterre ! »
Avant eux, Brissot, qui y avait vécu longtemps et devait la connaître, ne doutait pas de sa ruine. A la fin de chacun de ses discours, il parlait du naufrage de l’Angleterre, et disait : « Voilà pourquoi l’Angleterre s’est perdue ! »
« Perdue ? lui dit quelqu’un, mais sous quel degré de latitude ? »