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Histoire du XIXe siècle (volume 2/3) : $b II. Jusqu'au dix-huit Brumaire

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CHAPITRE X
LES ROYALISTES APPELLENT LA VENDÉE A PARIS. LE DIRECTOIRE APPELLE HOCHE, LES ESCADRONS DE SAMBRE-ET-MEUSE.

Le Directoire, ouvrant les yeux, et regardant par le milieu fidèle de sa nouvelle police, avait vu ce que le précédent ministre Cochon se serait bien gardé de lui montrer.

Il avait cru n’avoir à craindre qu’une seconde édition de Vendémiaire, une révolte bourgeoise où les fils d’agioteurs, les commis de la Trésorerie, etc., viendraient escarmoucher aux marches de Saint-Roch, applaudis de leurs belles, des gracieux balcons de la rue Honoré.

Le nouveau ministre Sotin, mieux informé, enlevant les toits des maisons (comme dans le roman de le Sage), montra aux Directeurs surpris, un tableau d’intérieur qu’ils ne devinaient point, et leur dit tout d’un mot : « La Vendée est ici. »

Ce secret a été fort bien gardé des royalistes, si bien que, longtemps même après la victoire du parti, le sage Barbé-Marbois ne le dit pas. Et nous n’en saurions rien si de la Rue, qui avait plus de cœur, d’emportement que de cervelle, n’eût tenu à rendre justice aux zélés dont la tentative malheureuse fut déjouée en Fructidor. Ainsi, tandis qu’à lire le récit si bien calculé de Barbé-Marbois, on doit croire que le Directoire fut l’agresseur, on voit à plein par une simple note, que donne franchement de la Rue, on voit, dis-je, que le Directoire avait en face une armée inconnue, et d’autant plus insaisissable.

D’abord des jeunes gens de bonne mine étaient venus de l’Est, des centres de l’émigration, et ne se cachaient guère : le duc de Rivière et le très charmant Polignac, fils adoré de la tant adorée ! qui, douze années, régna sur la reine et la France.

Puis, venaient de l’Ouest, de grands propriétaires, les la Trémouille et autres retournés dans leurs fiefs. Gens bien venus partout, et qui, chez madame de Staël, écoutaient, se mêlaient à la société.

La Vendée, comme je l’ai dit ailleurs, s’était fort décrassée de ses héros barbares. La noble Vendée, par M. de Châtillon, avait accusé l’autre, celle des paysans et des prêtres, d’avoir fort indigné par ses excès. Stofflet, le garde-chasse, ne put avoir la croix de Saint-Louis.

Frotté, au Bocage normand, avait fait une autre Vendée, semi-féodale, flattant l’orgueil des bas Normands par son ordre, approuvé du roi. Les biographes disent que Frotté était alors à Édimbourg. Je n’en crois rien. Je pense avec de la Rue qu’il était à Paris au moins pour le moment, ne voulant pas manquer une telle occasion, d’un succès si certain, où tout le monde croyait aux récompenses.

Mais à part ces groupes et ces bandes, il y avait, si l’on peut dire, une Vendée égrenée, et fort libre, de toute arme, tout rang, des cavaliers démontés de Charette, des sangliers de Cadoudal qui, quittant la Chesnaye, marchant surtout la nuit, étaient arrivés ici sans fusil, mais avec de très bons pistolets de fabrique anglaise.

On ne peut pas douter non plus que des assassins du Midi, attirés par les grosses distributions d’argent que Dandré et autres agents de l’Angleterre faisaient aux Vendéens, ne soient venus toucher leur part. Parmi ces gentilshommes de grande route, qui avaient l’habitude des choses atroces, il y en avait qui agissaient pour leur compte, par fureur personnelle et d’un cœur très envenimé. Dans les hommes et femmes de feu Charette, et parmi les agents, les espions de Puisaye, il y avait des âmes diaboliques. On peut en juger par la fureur qu’ils eurent de crever les yeux des chevaux du général Hoche, sur lequel ils tirèrent plusieurs fois, ayant tenté aussi trois fois de l’empoisonner.

Cette diversité du parti royaliste rendait l’unité impossible et la direction difficile. Il n’y avait pas à espérer que ces beaux Polignac, quoique venant tout droit de chez le roi, fussent obéis ni des clans de Frotté, de cette sauvagerie domestique, encore bien moins de ces honnêtes gens du coin des bois, qui, depuis tant d’années, vivaient de proie, souvent de vol, parfois de meurtres.

Pichegru devait être épouvanté de ces étranges auxiliaires qui venaient, disaient-ils, se joindre à sa future garde nationale. C’était une armée de voleurs qui arrivait au secours de l’armée des banquiers. Cela donnait lieu à penser.

Carnot caressait fort le parti royaliste, et recevait chez lui ses amis de cette opinion dans son jardin du petit Luxembourg, sous les fenêtres de ces collègues et de la Réveillère-Lepeaux, qui logeait au dessus : « Lui et les siens, dit celui-ci, nous étourdissaient de chants catholiques, chantaient la messe et vêpres[59]. » Mais malgré toutes ces avances aux royalistes, Carnot avait refusé de se lier à eux. Comme régicide, il ne croyait pouvoir rien espérer de bon d’un parti où il voyait tant de fanatiques et de fous. Il avait même hâte que les modérés (royalistes ou non) fussent armés le plus tôt possible et formassent une garde nationale contre ces hommes peu sûrs. C’est ce qui produisit cette scène curieuse que Thiers a reproduite d’après la Réveillère-Lepeaux, qui lui-même parla à Carnot. Celui-ci, grand de taille et de son ascendant ordinaire, fut étonné de voir le petit homme contrefait l’interroger de bas en haut, et lui dire avec fermeté :

[59] La Réveillère, Mémoires, t. II, p. 65.

« Carnot, as-tu jamais entendu faire une proposition qui tendît à diminuer les attributions des conseils, à augmenter les nôtres, à compromettre la constitution ? — Non, » répondit-il avec embarras.

« Nous as-tu jamais entendus, en matière de finances ou autres faire une proposition qui ne fût pas conforme à l’intérêt public ? — Non.

« Quant à ce qui t’est personnel, nous as-tu jamais entendus ou bien diminuer ton mérite, ou nier tes services ?

« Depuis que tu t’es séparé de nous, as-tu pu nous accuser de manquer d’égards pour ta personne ?

« Ton avis a-t-il été moins écouté quand il nous a paru utile et sincèrement proposé ?…

« Pour moi, dit la Réveillère, quoique tu aies appartenu à une faction qui m’a persécuté, moi et ma famille, t’ai-je jamais montré la moindre haine ? — Non, non, » répondit Carnot.

« Eh bien, comment peux-tu te détacher de nous, et te rattacher à une faction qui t’abuse, qui veut se servir de toi pour perdre la république et qui te déshonorera en te perdant ? »

Rewbell, Barras firent même violence à leur haine pour se rapprocher de lui.

Il resta froid et renouvela sèchement sa proposition de mettre en délibération la garde nationale.

Les directeurs levèrent la séance et restèrent convaincus qu’il les trahissait.

Le Directoire n’avait de force, à Paris, qu’une garde de deux cent cinquante cavaliers. Et l’Assemblée, outre sa garde de mille hommes, avait, ici, deux armées à son choix : la garde nationale, qu’elle organisait pour Pichegru, puis l’armée inconnue, ces bandes de Vendée, des verdets du Midi et des gens de l’émigration.

Barras prit un parti, et sans prévenir ses collègues, il écrivit à Hoche la situation du Directoire, qui se trouvait avoir en tête une Assemblée, et par-dessous, une armée de brigands. Ni force, ni argent, Bonaparte en a promis, n’envoie rien. Il favorise les adresses jacobines de l’armée, et, d’autre part, écrit à l’antijacobin Carnot qu’il est toujours avec lui. L’armée du Rhin, Moreau, se tait et garde un silence suspect. Le grand cœur de Hoche s’émeut. Et il envoie sa petite fortune. Puis, ce qu’il peut tirer de la caisse de l’armée. Puis, il monte à cheval et arrive à Paris, désirant montrer à ces braves leur vainqueur, l’homme de Quiberon.

La cavalerie de Sambre-et-Meuse, les escadrons invincibles de Richepanse le suivaient, ils franchirent même le cercle constitutionnel des douze lieues qu’on ne pouvait passer autour de la ville où était la représentation nationale.

Ce fut la tête de Méduse. L’assemblée d’abord épouvantée, s’irrite, se plaint au Directoire, qui dit que la chose n’a eu lieu que par erreur. Hoche, interrogé par Carnot avec sévérité, ne dit pas qui l’a appelé. Il ménage Barras et ne révèle rien, de peur de trop donner l’éveil aux royalistes.

Ceux-ci, insatiablement, revenaient là-dessus, voulaient mettre Hoche en jugement. Ce jeune homme, si fier et fort blessé du tour qu’on eût voulu donner à une affaire qui touchait l’honneur, la caisse de l’armée, tenait, disait-il, à être jugé.

Situation étrange, et singulièrement fausse. Les royalistes, avec leur armée de brigands, criaient : « La loi ! la loi ! » et pendant six semaines, poursuivaient Hoche avec une terrible fureur. On le croyait tellement menacé, qu’on eut l’indigne idée qu’il se sauverait. Un Américain (vrai ? ou faux ?) lui offrit chez lui un asile. Il répondait à tout : « Je veux être jugé. »

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