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Histoire du XIXe siècle (volume 2/3) : $b II. Jusqu'au dix-huit Brumaire

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CHAPITRE VI
LE CABINET DE LONDRES AU MOMENT DU RETOUR D’ÉGYPTE.

Les Anglais sont crus et se croient obstinés. Mille faits prouvent pourtant qu’ils ont des changements rapides en sens divers, comme les flots furieux qui se battent au détroit.

On ne me croirait pas sur les brusques mutations qui se firent de 97 à 1801, si je ne tirais tous les faits d’un livre fort sérieux, de grande autorité[124], fondé uniquement sur les correspondances et documents divers, émanés des hommes politiques de ce temps-là (Pitt, Fox, Grenville, Eldon, Malmesbury, etc.). L’auteur, qui fut ministre lui-même et chancelier de l’Échiquier, a copié ces documents avec l’intelligence de l’esprit où ils furent écrits.

[124] Cornewall Lewis, Histoire gouvernementale de l’Angleterre.

Déjà, d’après ce livre, j’ai dit au commencement de ce présent volume, le miracle de Pitt ; comment, trouvant la Couronne au plus bas, il la relève, change tout à coup le Parlement, et donne au roi un monde, l’administration des Indes.

Ce don est fait par un tout jeune homme, ministre, dix-sept ans, et dont le ministère, interrompu trois ans, reprendra sous d’autres après lui. Le roi dominé par sa rancune contre l’Amérique et la France, partagea très longtemps l’entrain haineux de Pitt dans la grande lutte, voyant, malgré tant de dépenses, le crédit qui montait et le monde empressé à prêter son argent à l’Angleterre. Mais l’essor des manufactures, puis les revers de 97, changèrent fort ce courant d’argent et refroidirent le roi. Georges crut de plus en plus ses serviteurs intimes, surtout son médecin, et quelques évêques, l’archevêque de Cantorbéry, fort ennemi des projets de Pitt.

Ce médecin, Addington, avait été camarade, ami d’enfance de Pitt, qui, pour flatter le roi, l’avait fait président de la Chambre des Communes.

L’influence de cet homme doux, qui ne tourmentait jamais le roi d’affaires publiques, dut augmenter, surtout dans les jours de terreur, lorsque le peuple en fureur mit en pièces le carrosse royal, ou bien dans cette nuit terrible où la flotte se révolta et où la Tamise parut en feu. Bref, le roi, voyant Pitt malheureux à la guerre et maudit par la foule, se tourna entièrement vers son cher conseiller Addington.

Ceci en 97-98. En 99, l’humiliation de la Hollande, la capitulation du duc d’York et de son armée, poussa au comble le mécontentement du roi contre Pitt, qui lui parut aussi inhabile qu’odieux.

Mais Georges aurait-il le courage de s’affranchir ? Ce n’était pas probable, et son timide médecin n’y eût suffi. Il y fallait Dieu même ! et les craintes du roi pour l’Église établie. L’archevêque de Cantorbéry vint lui dévoiler le plan de Pitt, qui voulait mettre d’abord les catholiques d’Irlande dans le Parlement d’Angleterre pour leur ouvrir ensuite tous les emplois.

Le fait est que Pitt employait dans les affaires de l’Angleterre, de l’Inde, force Irlandais, des Castlereagh, des Canning, des Wellesley, etc. Lui, un parfait Anglais, il n’en jugeait pas moins avec sagacité que le bon sens de sa race gagnerait fort en certains cas à être aidé du brillant génie de l’Irlande. Ainsi lord Chatham avait appelé, armé, à grand profit, les Écossais, qui, plus tard, étaient devenus, par Watt et autres inventeurs, comme le bras industriel de l’Angleterre. Son bras militaire maintenant, on le voyait dans l’Inde, c’était surtout les Irlandais.

Ces grandes vues étaient trop au-dessus du roi ; elles ne firent qu’exalter son bigotisme protestant.

L’Angleterre haletait après la paix. L’impôt sur le revenu faisait saigner le cœur des riches, et la grande industrie, qui naissait, appelait à elle (à tout prix) les capitaux.

Ainsi la paix s’imposait d’elle-même. Ce qui pouvait retarder les meneurs, c’est que, le roi étant un bigot protestant, ennemi des catholiques, on ne pouvait lui laisser voir les relations qu’on avait sous main avec les émigrés et autres catholiques français.

Donc on travaillait contre Pitt, mais tout doucement. N’importe. Ce grand ministre de la guerre était perdu. En Fructidor, et plus tard en Brumaire, l’Angleterre espéra la paix d’une entente secrète avec nos royalistes. Mais on ne pouvait la faire, disait-on, qu’autant que la France aurait un gouvernement régulier, une main ferme qui répondît d’elle. Voilà pourquoi plusieurs Anglais croyaient, comme Sidney Smith, qu’en laissant revenir Bonaparte, et l’opposant aux jacobins, Masséna, Brune, Augereau, on ménageait la paix, la chute de Pitt et l’élévation du pacifique médecin Addington qui, devenu ministre, guérissait les plaies du pays.

Bonaparte profita de ce jeu politique, revint, et trompa tout le monde, l’Angleterre comme la France. Mais cela n’y fit rien.

L’Angleterre était si violente dans sa fureur de paix, qu’en 1801 le peuple de Londres détela les chevaux de l’envoyé de Bonaparte et traîna sa voiture.

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