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Lettres à sa fiancée

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Mardi soir, 22 octobre 1889.

Ma chère Jeanne bien aimée,

Je t’écris comme la dernière fois, dans un café. Je n’aime pas beaucoup cela, mais ma vie errante le veut ainsi.

Rassure-toi cependant, mon amour. Je ne suis pas souffrant et ma tristesse ordinaire est aujourd’hui sans amertume. J’ai manqué hier mon éditeur, mais aujourd’hui, j’ai pu tirer de lui la petite avance qui assure ma semaine…

Tranquillise-toi donc, ma douce bien-aimée, ma chère consolatrice mille fois bénie.

J’ai peur de t’avoir mis en retard hier et cette pensée m’a tourmenté. Mais je suis si lâche quand il faut me séparer de toi, quand je ne dois plus voir tes beaux yeux si compatissants, si tendres pour moi, si touchants ! O ma fiancée que je t’aime, et que je me sentirais fort si tu étais toujours auprès de moi pour soutenir ma pauvre âme ! Il m’est impossible de passer un seul instant sans penser à toi, sans te couvrir de baisers, sans te bénir du fond de mon cœur où tu es assise, sans te désirer éperdument de toutes les énergies de mon âme et de toutes les puissances de mon être. Car je sens bien, quels que puissent être les obstacles, que tu m’appartiens, que tu es vraiment ma femme, que nous sommes désormais un même cœur… et que c’est Dieu qui le veut ainsi.

Tu avais raison hier. Nous sommes impatients parce que telle est la nature de l’amour que les anciens appelaient du nom même du désir — Cupido — mais il y a peu de temps que nous nous connaissons et nos affaires, en somme, ont été très vite. Si cela continue ainsi, nous serons bientôt unis l’un à l’autre complètement et pour toujours. Mon adorée, il me semble qu’à ce moment je deviendrai fou de joie.

As-tu bien songé, mon très doux ange de lumière, que tu auras un enfant malade à soigner, que j’ai l’âme criblée de blessures et que bien souvent tu me verras triste…

....... .......... ...

J’ai été aimé pourtant, grandement aimé jusqu’à la mort, par une pauvre femme qui s’est complètement donnée à moi. Je ne puis y penser sans être navré de pitié, car je ne l’aimais pas, quoique elle fût assez belle. J’ai vu clairement alors ce que c’est que l’âme humaine et combien nous devons peu compter sur notre corps quand il veut, à lui seul, nous rendre heureux.

Il est étrange, ma très pure amie, que je vous écrive ces choses. Mais j’ai fini et je n’y reviendrai plus. Il fallait que rien de moi ne te fût inconnu. Je t’aime, Jeanne, de toutes les façons imaginables, c’est à dire comme une épouse chrétienne doit être aimée de son mari et j’éprouvais le besoin de te le dire, pour que tu sois bien assurée que je serai pour toi un véritable époux et que tu réalises vraiment pour moi l’idéal, comme tu me le disais toi-même l’autre jour, en t’adressant à moi.

A dimanche donc, chez Mlle X…, en attendant que tu aies fait ton déménagement et que tu puisses venir chez moi, déjeuner ou dîner.

Que je serai heureux le jour où tu pourras me donner une journée entière, ma chérie !

Je t’envoie mille baisers et je suis à toi, devant Dieu, complètement et pour toujours.

Ton Léon.

P. S. — Dimanche, apporte-moi, chez Mlle X…, le manuscrit de mon article Le fumier du lys. J’en aurai besoin.

En attendant, envoie un mot de tendresse à ton ami qui meurt d’amour pour toi.

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