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Lettres à sa fiancée

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27 novembre 1889, 4 heures du matin.

Croirais-tu, ma Jeanne bien aimée, que je suis ordinairement embarrassé pour t’écrire ? Mon cœur est plein de toi, cependant, et mon esprit s’exalte sans cesse. Il me suffit d’évoquer ta chère image pour qu’aussitôt je sois rempli de pensées et de sentiments divins. Mais, en même temps, je me vois si parfaitement incapable d’exprimer tout cela. Ce matin, je me suis levé pour toi, avec l’intention de te faire une grande lettre, une lettre magnifique, un chef-d’œuvre qui fût pour toi comme de la lumière et comme du feu, et dont je fusse consolé moi-même. En m’y préparant, je me croyais plein d’idées sublimes et maintenant que je tiens la plume, je découvre mon impuissance absolue, ma prodigieuse imbécillité. Il me semble que je n’ai rien à dire et presque toujours il en est ainsi. Mes sentiments pour toi sont tels, mon adorée, que je voudrais avoir le plus grand génie du monde et l’intelligence même des séraphins chaque fois que je parle ou que j’écris à mon cher amour.

Quelle émotion charmante tu m’as donnée avant hier soir, quand je t’ai rencontrée ! Que tu étais belle, ma chérie ! que tu étais distinguée par ta démarche et par ton grand air de lady, et combien je me sentais fier d’être aimé de toi ! Cette pensée ravissante que tu m’aimes est pour moi comme la sensation d’une pointe de flammes qui s’enfoncerait dans mon cœur… J’ai eu un instant de joie d’autant plus extrême que je n’avais pu l’espérer et tu as dû voir que je ne savais quelle chose te dire, étant comme suffoqué de ma surprise et de mon bonheur. Il est vrai qu’il a fallu presque aussitôt nous séparer et j’ai senti bien durement alors la profonde misère de notre situation. Chacun de ces deux êtres faits l’un pour l’autre et si nécessaires l’un à l’autre s’en est allé de son côté, dans les ténèbres, dans la pluie, dans le froid, dans la solitude. En vérité, j’ai grand besoin que Dieu m’envoie sa sainte patience, car je porte de bien lourdes peines !

Pauvre amour ! les paroles que tu m’as répétées de Mlle X… sont pour toi un avant-goût des niaiseries et des sottises qui t’attendent aussitôt que seront connus ton amour pour moi et les conséquences nécessaires de cet amour. Les X…, dont l’affection est certaine et dont l’intelligence n’est pas méprisable, sont probablement ce que tu trouveras de meilleur. Juge par là des autres. Comment ce monde pourrait-il s’accommoder à nos pensées ? Malheureuse enfant ! tu as rencontré un lion qui t’a emportée dans sa tanière. Qui donc aurait le courage de te suivre ? Désormais, ta vie sera pleine de surprises, je te mènerai où tu n’aurais jamais cru pouvoir aller, je te donnerai des pensées que tu aurais autrefois regardées comme des aberrations de folie et je ferai naître en toi des sentiments qui te plongeront dans d’inconnus ravissements que tu n’aurais jamais cru possibles à la nature. Je me trompe, c’est Dieu qui fera tout cela. Moi, je n’aurai que la peine de me laisser aimer. Toutes ces choses s’accompliront sans préméditation de ma part, sans aucun dessein tracé d’avance, tout simplement parce que tu m’aimes et que tu partageras mon destin.

Or, c’est un destin extraordinaire, je t’assure et tu ne manqueras pas de personnes prudentes et avisées pour te conseiller d’être plus sage. S’il n’était pas absurde de raisonner dans l’hypothèse d’événements qui ne sont pas arrivés et qui, par conséquent, ne pouvaient pas arriver, on pourrait te supposer, rencontrant au lieu de moi un homme quelconque, à peu près intelligent, à peu près bon, à peu près riche, à peu près amoureux de toi, qui t’aurait recherchée honnêtement et que tu aurais fini par épouser de guerre lasse, pour avoir une situation honorable et dans l’espérance de la paix.

Mariée sans enthousiasme, uniquement pour faire ce que tu aurais cru la volonté de Dieu, tu aurais accompli tes nouveaux devoirs le mieux possible, avec un zèle glacé, — comme cent mille autres.

Et quels devoirs, Jeanne ! Le don de soi, sans amour, n’est-ce pas un désordre effroyable ?

Ah, sur ce sujet-là, par exemple, je suis plein d’idées. Et j’en ai de terribles que personne, je le crois, ne peut avoir eues avant moi. Il semble que les lois sociales fondées sur le christianisme devraient agir victorieusement sur ma pensée, n’est-ce pas ? Le mariage, vaille que vaille, tel qu’il se pratique depuis des siècles dans l’univers, pour le refrènement des débauches et la multiplication de notre espèce douloureuse, l’union sanctionnée par Dieu de deux êtres que je suppose même de bonne volonté, l’un apportant la droiture la plus généreuse et l’autre la résignation la plus héroïque, en vue d’accomplir une loi d’ordre divin, — encore une fois, tout cela devrait m’apparaître comme une réalité des plus respectables et des plus saintes. Eh ! bien, non, mille fois non, je suis ainsi formé que cette chose me paraît intolérable et monstrueuse, du côté de la femme, sans l’intervention de l’amour. Du côté de l’homme, c’est infiniment différent et tu le comprendras à la fin, parce qu’il faut que tu épouses ma pensée en même temps que tu épouseras ma personne.

Or, ce que je te dis ici d’une manière très rapide et très imparfaite est d’une importance extrême et touche à tout ce qu’il y a de plus divin, de plus éternel. Considère seulement — ceci n’est qu’un exemple — que si aucune femme n’avait jamais donné au Seigneur sa virginité, le Rédempteur du genre humain n’aurait pas pu naître. Tout ce qui intéresse la terre porte expressément sur la Femme. Une pauvre créature qui tombe dans le gouffre des prostitutions par l’effet du désespoir mérite, certes, une pitié sans bornes, mais une vierge qui se marie par raison commet un acte effrayant qui la place au dessous des prostituées, — prodigieusement au dessous des plus viles prostituées et qui fait peur aux mauvais archanges.

Cette jeune fille d’esprit léger et de cœur frivole qui, pour échapper à sa famille, pour être appelée Madame, pour avoir des toilettes et des parures, ou pour d’autres raisons plus méprisables encore, livre au premier drôle venu qui s’appellera son mari le tabernacle possible d’un Dieu, — cette jeune fille fait sangloter la Troisième Personne divine, elle fixe, pour mille ans peut-être, sur sa Croix de feu, Notre patient Seigneur Jésus qui allait en descendre, elle décourage les esprits d’en haut, et fait gronder effroyablement les esprits d’en bas, elle pousse le verrou sur tous les captifs, aggrave la désolation des créatures et désespère les agonisants. Ah ! c’est heureux vraiment que le Seigneur mourant ait demandé grâce pour ceux qui « ne savent ce qu’ils font » car certaines pensées sont si décevantes qu’il n’y aurait pas moyen d’en supporter l’amertume.

Les femmes n’ont qu’un signe, mais un signe bien certain pour connaître leur vocation. C’est l’amour tel que tu le sens pour moi, ma bien-aimée. Alors tout est dit et la volonté de Dieu n’est pas douteuse. Elles sont faites visiblement pour le mariage, quand même, étant désignées pour souffrir, elles ne pourraient jamais épouser l’élu de leur cœur.

Toutes les femmes que j’ai pu connaître dans mon pays, toutes, sans exception, ont une idée qui doit être universelle, car la nature humaine est identique partout. Elle a partout le même fond de pressentiment et le même capital de sottises. C’est idée, c’est qu’elles ont un secret que nul homme n’est capable de pénétrer. — « Monsieur, vous ne pourrez jamais connaître une femme, il y a en elle quelque chose qui vous échappera toujours. » J’ai entendu cela mille fois et celles qui le disaient étaient souvent, je t’assure, d’une bêtise inexprimable. Pauvres créatures qui seraient, à coup sûr, bien embarrassées de s’expliquer à elles-mêmes leur fameux secret, à moins qu’elles n’eussent dans la pensée des turpitudes ou des niaiseries, comme il est probable. Cela est bien ridicule et cependant elles ont raison, sans le savoir. Mais si quelqu’un tentait de leur dévoiler ce secret ignoré d’elles-mêmes, et qui appartient à Dieu, elles n’y comprendraient absolument rien et traiteraient de fou le révélateur.

Bossuet, qui eut la gloire d’être un esprit absolu, disait que toute erreur est une vérité corrompue. Ce qui revient à dire qu’aucune opinion collective, quelque révoltante ou sotte qu’elle puisse paraître, n’est entièrement méprisable. Au commencement de ce siècle, un Français, qui portait un très grand nom, et qui se prétendait issu de Charlemagne, le duc de Saint-Simon, s’avisa de fonder une secte, une religion qui séduisit des esprits distingués et qui eut pour adeptes un assez grand nombre d’hommes devenus célèbres. Je ne voudrais pas t’entretenir cinq minutes de cette invention d’orgueil qui finit par aboutir à d’inexprimables ignominies. Mais il y avait une chose étonnante. C’était le culte de la Femme inconnue, qui devait sauver le monde et que chacun devait chercher avec le plus grand soin par toute la terre. Quel singulier témoignage !

Elle est attendue, en effet, depuis les siècles, avec d’immenses soupirs, par ceux mêmes qui croient attendre, qui croient chercher autre chose. Cette Désirée des nations est invoquée sous tous les noms symboliques des concupiscences mystérieuses qui agitent la vieille âme humaine. Au fond et dans la réalité, c’est toujours Elle que notre ignorance appelle. Les richesses, la Joie, la Gloire, la Puissance, la Vertu et même le Vice, tout ce qui peut être convoité par le Genre humain exprime symboliquement cette unique soif des créatures condamnées à l’enfantement et à la douleur.

Ce n’est pas l’homme seul qui est tombé dans l’Éden. La création tout entière, dont il était l’unique support, est tombée avec lui. C’est pourquoi tout ce qui subsiste a besoin d’être sauvé et appelle en son langage le Libérateur. Te rappelles-tu le psaume 148e et surtout le sublime cantique des trois enfants dans la fournaise au livre de Daniel, où toutes les créatures, vivantes ou inanimées, sont invitées à bénir le Seigneur ?

Dans la merveilleuse légende de saint Colomban, l’apôtre de la verte Irlande, il est raconté que cet adolescent extraordinaire entendait de loin, à travers les mugissements de l’Atlantique, les cris des petits enfants au sein de leurs mères qui l’appelaient en Hibernie. Cette histoire me fait pleurer d’admiration. Avec quelle force pourrait-on appliquer cela à l’Esprit Saint, au Paraclet, à l’Être inimaginable que tout désire et convoite en gémissant, parce qu’il doit tout réparer, tout sauver, tout éclairer, tout glorifier, tout accomplir !

Combien j’aime ces pensées ! Je t’ai parlé d’un livre sur la Femme que je veux écrire, quand Dieu voudra m’en donner le moyen. Je crois que ce serait une œuvre importante et je suis profondément affligé de mon impuissance actuelle. Comme il faut que tu sois au courant de mes pensées, je ne résiste pas au désir de te donner un aperçu de cette œuvre qui n’existe encore malheureusement que dans mon cerveau. Ce sera une œuvre d’une audace extrême et il me serait impossible de te l’expliquer si tu étais une prude ou une intelligence médiocre. Mais je compte sur la hauteur de ton esprit et la simplicité de ton âme.

Nous touchons à une époque du monde où il faut que tout soit dit.

Voici : Une jeune fille issue de la bourgeoisie ouvrière et douée, par transmission, d’une âme supérieure à son milieu, haïe, par conséquent, ou méprisée de ses proches, persécutée par son abominable mère qui voudrait la vendre, finit par tomber d’elle-même dans l’infortune banale d’un premier amant qui l’abandonne. Alors s’ouvre pour elle le triple gouffre de la prostitution, du suicide ou d’un retour pur et simple à la vie médiocre, avec l’aggravation d’un idéal irréparablement saccagé. Ces trois solutions détestées l’épouvantent et elle en cherche éperdument une quatrième qui sera, à la fin, la prostitution encore, parce que tel est l’inévitable destin de la femme désespérée, quand la Providence n’accomplit pour elle aucun miracle. Cette absurde odyssée sera l’occasion de traverser d’étranges milieux et de basses tragédies plus étranges encore…

Le central concept de ce livre est le sexe physiologique de la femme autour duquel s’enroule ou se débobine implacablement sa psychologie tout entière. Pour parler net, la femme dépend de son sexe, comme l’homme dépend de son cerveau. L’idée n’est pas neuve, mais il est possible de la renouveler et d’en donner même une impression terrifiante en la poussant jusqu’à ses plus extrêmes conséquences, et c’est ce que je me propose avec l’espoir de rencontrer la vérité absolue. Par exemple, le culte, le vrai culte latrique de la femme, quelque vertueuse qu’on la suppose, pour le signe extérieur de son sexe qu’elle estime inconsciemment à l’égal du Paradis ; qu’on l’imagine, ce culte, en conflit immédiat avec l’absolue nécessité de la prostitution vénale, qu’on pousse jusqu’au bout cette idée, cette conception du sacrilège et le plus fier homme tremblera devant le monstre que son esprit aura évoqué.

Mon héroïne n’aura ni beauté supérieure, ni dons singuliers. Elle ne possédera qu’un noble cœur triste assez touchant, mais elle le portera à la manière des femmes, c’est à dire au plus profond de son sexe, puisqu’il faut les éventrer, ces êtres bizarres, pour leur donner la maternité qui est la véritable explosion de leur personnalité affective…

Elle sera donc forcée de revenir à son premier carrefour après de lamentables explorations. Cette fois, c’est bien la prostitution qu’il lui faut choisir, mais encore avec l’arrière espérance qu’au tournant de quelque ordure, elle dénichera le merle blanc d’un amour parfait. Le prodige, c’est qu’elle le trouve, en effet, juste à temps pour désespérer, avant de mourir, un brave homme qui arrive trop tard, comme tous les braves gens de ce dérisoire globe où personne ne se présente jamais assez tôt pour sauver personne.

Après le Désespéré, la Prostituée. J’aurai ainsi donné à ma manière d’artiste et d’après ma vision d’exégète, les deux faces cruellement symboliques de la vérité du drame divin.

Ai-je dit toute ma pensée ? J’ose à peine aller plus loin. Le fond de mon livre, le voici :

Il n’y a pour la femme — créature temporairement, provisoirement inférieure, que deux manières d’être : la maternité la plus auguste ou le titre et la qualité d’un instrument de plaisir, l’amour pur ou l’amour impur. En d’autres termes, la Sainteté ou la Prostitution ; Marie-Magdeleine avant ou Marie-Magdeleine après. Entre les deux, il n’y a que l’Honnête femme, c’est à dire la femelle du Bourgeois, du réprouvé absolu que nul holocauste ne peut racheter. Une sainte peut tomber dans la boue et une prostituée monter dans la lumière, mais l’affreuse pécore sans entrailles et sans cerveau qu’on appelle une honnête femme et qui refusa naguère l’hospitalité de Bethléem à l’Enfant Dieu, est dans une impuissance éternelle de s’évader de son néant par la chute ou par l’ascension. Mais toutes ont un point commun, c’est la préconception assurée de leur dignité de dispensatrices de la Joie. Causa nostrae laetitiae ! Janua cœli ! (Cause de notre joie ! Porte du ciel ! Litanies de Marie.) Dieu seul peut savoir de quelle façon ces formes sacrées s’amalgament à la méditation des plus pures et ce que leur mystérieuse physiologie leur suggère.

Pour moi qui ne crois qu’aux idées absolues, je passerai par dessus toutes les psychologies connues et j’irai droit à cette monstrueuse affirmation par laquelle je crois possible de tout expliquer. Toute femme, qu’elle le sache ou qu’elle l’ignore, est persuadée que son sexe est le Paradis. Plantaverat autem Dominus Deus Paradisum voluptatis a principio, etc. (Genèse, II, 8). Par conséquent, nulle prière, nulle pénitence, nul martyre n’ont une suffisante efficacité d’impétration pour obtenir cet inestimable joyau que le poids en diamants des nébuleuses ne pourrait payer. Qu’on juge de ce qu’elle donne quand elle se donne et qu’on mesure son sacrilège quand elle se vend. Assurément cela est d’un ridicule prodigieux. Mais voici ma conclusion fort inattendue. La femme A RAISON de croire tout cela et de le prétendre ridiculement. Elle a infiniment raison, puisque cette partie de son corps a été le tabernacle du Dieu vivant et que nul ne peut assigner des bornes à la solidarité de ce confondant mystère.

En voilà assez, n’est-ce pas ? Je crains d’être ennuyeux et fort peu clair. J’aurais besoin des développements du livre et des péripéties du drame pour préciser ces évolutions psychologiques telles que je les conçois. Cependant, Jeanne, ai-je réussi à te faire entrevoir la magnificence d’un tel sujet dont les difficultés prodigieuses m’accablent d’avance, mais dont la seule pensée me transporte ? Je brûle de dire enfin un peu de vérité profonde au milieu de tant de mensonges littéraires et de dramatiques rengaines. Et tu le sais, la Vérité est un des noms de la Miséricorde. Je veux que cette œuvre transsude la Miséricorde, qu’elle la pleure, qu’elle la pleuve, et que celles qu’on regarde comme le fumier du monde soient littéralement submergées de cette effusion. De stercore erigens pauperem, dit le psalmiste, 112, 7, ce qui veut dire que le Seigneur élève le Pauvre du milieu de l’ordure et le pauvre, dans l’Écriture, signifie toujours Dieu lui-même. As-tu compris, chère amie, que je veux montrer, pour l’étonnement des âmes médiocres, la miraculeuse connexité qui existe entre le Saint Esprit et la plus lamentable, la plus méprisée, la plus souillée des créatures humaines, la Prostituée.

Tu dois, ma bonne et douce Jeanne, être étonnée de la date qui est au commencement de cette longue lettre. C’est bien simple. J’ai dû laisser la plume à la deuxième page pour aller rejoindre un ami qui m’attendait. Puis je n’ai pas su ressaisir ma pensée. Il a fallu m’y reprendre à trois fois…

Voilà la semaine qui finit et ma vie dure va recommencer. Hier soir, j’ai vu L… et j’ai dû lui faire de la peine, car j’étais bien triste. Je veux espérer avec toi que cette première commande est un bon signe. Mais, ma pauvre chérie, j’attends mieux du Seigneur. J’ai mon œuvre à faire et, pour cela, il me faut du loisir en même temps qu’un peu de bonheur, c’est à dire toi, ma chère compagne. Je te l’ai déjà dit, je n’attends et n’espère rien moins qu’un miracle.

Il faut que j’aille chez l’éditeur dont tu m’as donné le nom pour lui parler de ce travail, car je ne comprends pas très bien ce qu’on me demande.

Ce qui est assez curieux c’est que le même jour et à peu près à la même heure où je commençais de t’écrire sur la femme, tu m’écrivais toi-même sur le même sujet. C’est une remarquable sympathie de nos deux esprits.

Tes pensées sont justes. Tu as raison de chercher des analogies entre la femme et le Saint Esprit. C’est précisément ce que je fais moi-même, et ce qui précède prouve que je n’aurai jamais peur de te voir aller trop loin dans ce sens. La plus saisissante figure du Saint Esprit, c’est la Vierge Marie, mais c’est une figure rayonnante, une figure de gloire et il y en a d’horriblement sombres. Mais prends garde, il ne faut pas nommer le Saint Esprit, la femme, parce qu’il n’est pas la femme, il est le Saint Esprit, c’est à dire l’accomplissement de la femme en une manière que nous ne pouvons même pas conjecturer.

Un jour, peut-être, il nous sera donné de voir plus clair. En attendant, je suis averti intérieurement que cette manière absolue de désigner la Troisième Personne divine par sa figure, ne peut convenir et le sentiment irraisonné qui me fait écrire en cet instant ne doit pas me tromper.

Quand te reverrai-je, ma bien-aimée, ma très douce consolatrice, mon seul trésor ? Je n’ose pas trop te presser, car je vais bientôt, dès demain, retomber dans le dénuement et je ne sais de quelle façon je pourrais te recevoir. Cependant j’ai tant besoin de toi, mon bon ange.

Je te serre dans mes bras.

Léon Bloy.

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