Lettres à sa fiancée
9 janvier 90.
Chère bien-aimée,
Je t’écris pour te demander pardon.
Je suis à tes pieds que j’aime et je veux m’y tenir tout en larmes. Je suis un égoïste, un esprit cruel, un ingrat et je ne mérite pas d’être tant aimé.
Pauvre adorée, pendant que tu m’écrivais pour me consoler, pour me remplir de joie, je t’écrivais pour t’affliger, pour te désoler. Pendant que tu te réjouissais du clair soleil qui t’annonçait le printemps et te dilatait le cœur, je contemplais ce bel astre avec l’amertume d’un captif qui le verrait luire sur les heureux de ce monde à travers les barreaux de sa prison et j’emprisonnais ta joie avec ma tristesse. Pardonne-moi, mon amour. Tu es meilleure que moi, ton âme est plus forte que la mienne. Je t’assure qu’il faut beaucoup me pardonner. Mon excuse, c’est que je suis un cœur malade. J’ai trop enduré et je suis devenu très faible, même physiquement. J’étais fait, cependant, pour être fort et je puis encore le devenir, si un peu de bonheur m’est accordé.
Je veux te répéter ce que tu m’écris toi-même. Dis-toi bien sérieusement que je t’aime du fond de mon cœur, de tout mon être, tu es ma reine, mon salut, ma bien-aimée, mon idéal, mon tout et je n’espère qu’en toi, immédiatement après Dieu.
Tu te demandes, si, un jour, je ne cesserai pas de t’aimer. Ma petite femme chérie, ce doute n’est pas raisonnable, ni généreux. Je ne veux pas que tu le renouvelles jamais. Ce serait une grande injustice. Tu dois me connaître maintenant et tu dois savoir que mon âme est haute et qu’elle est fidèle. Ne me soupçonne pas, je t’en supplie, tu me rendrais plus malheureux que je ne suis.
Je ne te promets pas d’être toujours sans reproche, étant un pauvre garçon plein de misères, mais je sens que tu es vraiment « celle que j’aime » et je vois clairement qu’aucune autre femme ne pourrait me donner le bonheur que j’attends de toi.
Je crois que tu as raison de compter sur ma douceur. Je passe pour en manquer parce que j’ai écrit des choses violentes. Tels sont les jugements superficiels du monde. Je suis, en réalité, un homme très doux, un homme d’une douceur d’enfant et j’en ai été souvent la victime.
Je ne puis t’écrire plus longtemps, mon cher amour.
Un ami, ce jeune Hollandais dont je t’ai parlé, m’attend pour déjeuner. Encore une fois, pardonne-moi. Je suis moins triste depuis hier. J’ai revu Camille et cela m’a fait du bien, quoique le pauvre garçon soit toujours sombre et souffrant. D’ailleurs, écoute-moi bien, quand il m’arrivera encore de t’écrire des choses douloureuses, rassure-toi par cette pensée que je suis un véritable enfant et qu’il suffit d’un seul instant pour me ranimer, pour me consoler, pour me donner de la joie. Ne prends pas trop au sérieux mes lamentations. Je suis très malheureux, sans doute, mais j’ai, quand même, tant d’espérance et puis, qui sait ? peut-être qu’il se mêle, sans que je le sache, à l’expression de mes chagrins, un peu de littérature.
En ce moment j’ai la paix. Je vais passer quelques heures avec cet excellent jeune homme et cela me plaît. Mais, surtout, ta lettre m’a fait tant de bien ! Ma belle Jeanne, mon adorée, que ta lettre est admirable ! combien j’ai senti d’amour pour toi en la lisant ! et que je suis fier d’inspirer de tels sentiments.
Au revoir donc, ma parfaite amie, ma chère vie et ma chère âme. Je suis toujours à tes petits pieds que je baise avec transport !
A toi pour la vie,
Léon.