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Lettres à sa fiancée

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Samedi, 14 décembre 89.

Ma chère Jeanne aimée,

Je t’écris, cette fois encore, bien plus pour te faire voir mon écriture que dans l’espoir de te donner des idées sur quoi que ce soit. Je viens de passer une semaine très douloureuse. Je peux te le dire maintenant que c’est à peu près fini. J’ai été très malade et j’ai cruellement souffert de ma solitude, étant privé de soins et presque sans ressources.

Ce n’était, il est vrai, que la grippe. Mais une sorte de grippe particulière à moi qui me revient à peu près tous les trois ou quatre ans et dont la violence est extrême.

Je crois t’avoir déjà signalé ce fait remarquable de l’hostilité perpétuelle des circonstances contre toutes mes entreprises. Ainsi, mes mesures étaient bien prises pour que mon enluminure d’Angleterre s’achevât à peu près cette semaine. Il a fallu que je fusse malade. J’ai un peu travaillé, il est vrai, mais si peu et à quel prix ?

Dès demain, dès ce soir même, l’occasion est perdue, car il faut que je recommence mes courses d’enfer.

Il y a des heures où toute lumière m’abandonne et, alors, je me crois maudit.

Ne viens donc pas demain puisque tu es forcée de travailler. Je serai absent et peut-être bien malheureux, ce qui ne me changera guère.

Prie pour moi, ma chère âme, car je suis si navré que je ne peux prier.

Je voudrais espérer avec toi pour cette fin d’année, mais j’ai tant espéré depuis dix ans avec de si fortes raisons d’espoir et j’ai été si atrocement déçu !

Ton ami bien triste,

Léon Bloy.

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