Lettres à sa fiancée
Lundi matin, 9 décembre 89.
Chère amie,
Ne te tourmente pas à mon sujet. Je ne suis plus malade. Je viens de faire mon ménage avec énergie et je vais me mettre au dessin.
De toute mon âme, je demande à Notre Seigneur qu’il te bénisse et qu’il t’envoie les pensées les plus consolantes. Nous sommes tout l’un pour l’autre, cela est bien clair et nous avons besoin l’un de l’autre. Donc, il nous sera donné de partager la même destinée car Dieu ne fait rien en vain.
Souviens-toi de tout ce que nous avons dit hier et de tout ce que je t’avais déjà écrit. Il faut que tu sois très forte, tout à fait forte, jusqu’à ne plus souffrir le moins du monde des bavardages, des jugements bêtes et même des calomnies. Car la femme qui aime un réprouvé tel que moi ne doit pas s’attendre à être ménagée. Ton éducation sévère et les milieux hypocrites et impitoyables dans lesquels tu as vécu ont habitué ton esprit à donner, par exemple, à l’idée relative de réputation une importance excessive qu’elle n’a pas en réalité. Moi, je vis dans l’Absolu et dans l’Amour. Il faut devenir très généreuse et très forte pour me suivre.
Je te le disais hier et je te l’écris aujourd’hui. N’oublie jamais la misère extrême, la profonde médiocrité des intelligences qui nous environnent. Souviens-toi que Jésus lui-même, le Dieu fait homme, a été accusé d’être « un gourmand et un ivrogne, l’ami des gens de mauvaise vie et de la plus vile canaille ». (Matthieu XI, 19 et Luc VII, 34.)
La véritable, la seule force, qu’on choisisse le bien ou le mal, qu’on soit un saint ou un criminel, consiste à rejeter tous les préjugés et à se mettre au dessus des jugements humains — ce qui n’exclut pas la prudence. Quand on a fait tout ce qu’on pouvait faire, qu’importe la misérable opinion des gens qui trouvent tout simple, comme le dit Notre Seigneur, de mettre sur le dos de leur frère des fardeaux qu’ils ne voudraient pas toucher du bout des doigts ?
Courage donc, ma Jeanne bien-aimée, nous serons heureux plus tôt peut-être que nous ne pouvons l’espérer.
Je compte beaucoup sur ce don de prière que tu as reçu. Va voir le P. Sylvestre et prie-le de t’épargner les longueurs.
Je te quitte, mon amour, il faut que je travaille.
Je t’aime plus que moi-même.
Ton Léon.