Lettres à sa fiancée
Rue Blomet, 18 novembre 89.
Que ta longue et magnifique lettre m’a été douce et bienfaisante, ma Jeanne chérie.
Que tu es admirable pour moi et merveilleusement choisie par le Dieu des miséricordes pour me consoler.
Tu prétends ne savoir t’exprimer en français. Mais, mon cher amour, cette lettre que je viens de lire trois fois de suite avec une grande émotion est très belle. Les quelques incorrections qu’on y rencontre ne prouvent rien. Cette lettre est vraiment très belle, — je te le dis, non pas en amant, mais en critique littéraire et je suis très fier d’avoir une si grande place dans un si charmant esprit. Il faut me croire et ne plus te plaindre, car tu calomnierais la bonté du Père des lumières qui t’a douée avec tant de prédilection.
Ce que j’exprimerais difficilement, c’est mon admiration pour la Providence qui nous a si bien formés l’un pour l’autre, car il n’est pas possible d’imaginer deux êtres mieux faits que nous pour se compléter. Les dons de Dieu sont sublimes et tous mes rêves sont dépassés.
Je t’avais écrit un jour pour te mettre en garde contre l’orgueil intellectuel. Je t’avais écrit fortement parce que je craignais que tu ne fusses tentée de donner trop à l’intelligence au préjudice de l’Amour qui est son aîné et son maître. C’est ainsi qu’il faut me comprendre. Mais, mon adorée, ma crainte était vaine, je le vois bien aujourd’hui. Tu es un beau livre que je lis sans cesse et que j’apprends un peu mieux chaque jour. Je ne crains plus rien, sois tranquille et je ne vois rien qui me déplaise en toi.
Au contraire, tu me ravis, tu me combles de joie, tu m’enivres de délices…
Nous vivrons ensemble comme des élus, d’amour et d’intelligence…
Notre vie sera un poème de pensées sublimes… Nous sommes divins, en effet, par notre origine, par les grâces extraordinaires que nous avons reçues et nous vivrons comme des êtres divins, sans oublier un seul instant les chers absents, les chers morts et tous ceux qui souffrent.
A demain et à Dieu,
Ton Léon Bloy.
Demain soir, mardi, lorsque tu viendras toute glacée, mon pauvre amour, tu trouveras chez moi une figure du Saint Esprit, c’est à dire, un très bon feu. Puis je te ferai deux petits cadeaux pour l’anniversaire du jour bienheureux où Notre Seigneur a fait naître en Danemark ma consolation.