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Lettres à sa fiancée

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127, rue Blomet, 2 septembre 89.

Chère amie,

Je suis réduit à ne pouvoir vous écrire que deux mots en toute hâte, pour ne pas laisser sans réponse votre lettre qui m’a inondé de joie.

Je suis, en ce moment, la proie d’un de mes frères et de sa femme venus à Paris pour deux jours et qui m’ont demandé l’hospitalité.

Cela, je vous l’assure, est sans douceur.

Nous avons parlé, vous et moi, de la nécessité de vivre avec des égaux intellectuels. Or, ces deux êtres excellents par le cœur sont de très indigents cerveaux et je vous assure que mon embarras est extrême.

Ce qui est vraiment fâcheux, c’est l’impossibilité pour moi de travailler. J’avais compté sur ces deux jours et je prévois, hélas ! qu’ils vont s’écouler sans que j’aie pu écrire une seule ligne. Cela me fâche beaucoup, parce que je ne voudrais pas, mon amie, que vous me prissiez pour un paresseux.

Depuis quelque temps, d’ailleurs, c’est terrible pour moi de ne jamais être sûr d’un instant de paix.

Demain, mardi, je ne vous porterai donc aucun travail, mais, du moins, je vous verrai et ce sera pour mon cœur triste une vraie joie et un très grand réconfort.

Il est à peu près certain que je ne pourrai pas arriver avant 4 heures et demie. Vous m’attendrez, n’est-ce pas ? Je vous en prie. Je souffrirais durement de ne pas vous rencontrer.

Et ne vous étonnez pas trop de cette allégresse de vous voir. J’ai le cœur si serré, si meurtri, si foulé aux pieds. Je suis si peu compris. Les choses que vous m’écrivez et dont le monde se moquerait, ce sont précisément les choses que je vous écrirais moi-même. Il me semble que vous êtes tellement faite pour moi que je vous aime déjà avec tendresse comme une sœur très chère.

Avant-hier soir, n’avez-vous pas remarqué combien j’étais gêné par la présence de mon ami Landry ? Pourtant, c’est un ami très éprouvé que je porte vraiment dans mon cœur. Mais, depuis 25 ans, il n’a pu voir et comprendre ce qui vous est apparu du premier coup. Je ne pouvais le renvoyer pour être seul avec vous, je ne le pouvais sans imprudence excessive et j’en ai souffert d’une façon cruelle.

Mais, encore une fois, je vous verrai demain, ma très douce amie, nous sortirons ensemble et je l’espère, après-demain, nous irons ensemble à l’Exposition, ce qui sera une façon d’être complètement l’un à l’autre un grand nombre d’heures. Rien que d’y penser, mon cœur bondit de joie.

Au revoir donc, chère, chère amie, à demain et soyez bénie mille fois pour le bien que vous faites à ce pauvre homme.

Votre

Léon Bloy.

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