← Retour

Lettres à sa fiancée

16px
100%

Mercredi, 5 mars 90, 9 heures du matin.

Ma bien-aimée Jeanne, mon unique amour,

Je ne puis répondre à ta chère et admirable lettre que très peu de lignes et je t’écris avec des doigts glacés.

Il faut, dans un instant, que je sorte pour courir après l’argent, sans trop savoir où j’irai ni ce que je ferai. Ma tête se perd, je souffre trop. Il est temps que cela finisse, car l’épreuve est presque au dessus de mes forces.

Si tu savais ce que j’ai enduré depuis dimanche par ce froid et cette misère, ton cher cœur se briserait de pitié.

J’ai revu Camille à qui ta lettre a fait du bien. Il est bien malade encore, mais il m’a fait une meilleure impression.

L’ami d’enfance sur lequel j’avais compté a dévoré, en compagnie d’une ignoble femme, les deux cents francs qui m’étaient destinés et qu’il m’avait promis au nom de Dieu. N’est-ce pas admirable ?

Viens demain, jeudi. Je t’attendrai à partir de midi. Nous passerons ensemble quelques heures et tu iras dîner chez toi, car je ne pourrais pas te nourrir, ma pauvre amie. Cependant ne t’engage pas pour le soir. J’aurai peut-être de l’argent.

Je veux croire que la délivrance est proche car il me semble que je n’ai jamais été aussi malheureux. Je t’adore.

Ton Léon bien triste.


J’ai attendu à ce soir pour t’envoyer cette lettre que je vais tout simplement porter chez toi afin que tu l’aies plus tôt. Je voulais pouvoir ajouter quelques mots rassurants.

En ce moment, je ne suis plus aussi triste. La matinée a été fort cruelle. J’ai fait dans la neige de longues courses inutiles, n’ayant trouvé personne, et je suis rentré chez moi vers midi pour manger un morceau de pain. Je me suis alors décidé à courir chez le pauvre comte[2] qui m’a donné un peu de monnaie et qui m’a dit beaucoup de bien de toi. Si tu veux, il t’attendra vendredi soir. N’oublie pas d’apporter un peu de musique. Tu te fais aimer partout, ma chérie.

[2] Le comte Roselly de Lorgues, postulateur de la cause de Christophe Colomb.

Pauvre cher vieillard, il a pitié de moi et quoiqu’il soit très gêné, il se dépouille quelquefois pour me secourir. Jeanne, mon amour, il faut que cela finisse. Une pareille existence est plus amère que la mort.

....... .......... ...

Je ne peux rien changer à ce que je t’écrivais ce matin. Viens demain le plus tôt possible. Si j’ai de l’argent, nous dînerons ensemble, sinon tu t’en iras à 6 heures.

Je te serre dans mes bras, mon cher amour.

Léon.

Chargement de la publicité...