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Au bord du Désert: L'âme arabe (à Pierre Loti); Impressions; Souvenirs; Légendes arabes; La pétition de l'Arabe

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STRELITZIA

RÊVE ORIENTAL

A Madame H. G. T.

Strelitzia, l’enfant solennelle et barbare,
Porte, sur son front fauve, un bandeau de sequins.
Le chaton de sa bague est une pierre rare.
Une étoile en saphirs orne ses brodequins.
Deux cathédrales d’or, pendant à ses oreilles,
Sonnent avec un bruit amoureux et guerrier.
On voit qu’elle est la reine au pays des merveilles.
Tous l’aiment, — jusqu’au nain, l’esclave familier !
Mais ce qui fait chanter le sonneur de guitare,
Le frappeur du tobol et de la darbouka,
C’est, dans ses noirs cheveux, une fleur très bizarre
Que, pour son air méchant, la reine remarqua.
Elle vit cette fleur, au bord d’un précipice,
S’ériger tout auprès d’un nid de serpents bleus…
Or, quand elle commande, il sied qu’on obéisse.
Cent noirs, pour une fleur, périrent sous ses yeux.
Celui qui la cueillit était — conte l’histoire —
Un charmeur de serpents, jeune mais renommé,
Qui, sifflant un air triste avec sa bouche noire,
La fit venir à lui comme un aspic charmé.
Sa main tremblait, lorsqu’il offrit la fleur étrange,
Qui, diverse en couleurs, douce cruellement,
Est d’un bleu violet parmi du rouge orange.
C’est un faisceau de dards. Un est bleu seulement.
Sans doute c’est celui qui peut blesser ! La teinte
Des autres vient du sang que celui-là répand.
Pour avoir vu la fleur, la reine eut l’âme atteinte,
La fleur rouge, faisceau de langues de serpent.
Sur ses cheveux très noirs, — bien droite sur sa tête, —
Hors de la gaine verte entr’ouverte à demi,
Elle planta la fleur indomptable en aigrette,
Symbole d’un défi d’orgueil à l’ennemi.
Puis elle fut, un jour entier, préoccupée…
Mais elle souriait encor, le lendemain,
Quand le noir, sur son ordre, eut la tête coupée,
Pour payer la faveur d’avoir baisé sa main.

Biskra, avril 1881.

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