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Au bord du Désert: L'âme arabe (à Pierre Loti); Impressions; Souvenirs; Légendes arabes; La pétition de l'Arabe
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LA DIFFA
Le kaïd Ben-Ghana donne un festin ce soir.
Deux cents hôtes viendront à sa table s’asseoir,
Des députés français, des ministres, des femmes…
Douze moutons entiers cuisent, dorés des flammes,
Empalés à des pieux, de trois mètres de long,
Dont chaque énorme bout porte sur un moellon,
Et que tournent sans fin, graves, d’une main lente,
Vingt-quatre hommes, devant la clarté rutilante,
Assis sur leurs talons, accroupis, à genoux,
Drapés dans les grands plis ondoyants des burnous ;
Et les douze brasiers, flambant dans les airs calmes,
Éclairent, par-dessous, le vert des hautes palmes.
La nuit vient. — Sous la tente immense, le banquet
S’illumine, — un festin auquel rien ne manquait.
Car l’Arabe, voulant que nous fussions à l’aise,
Ajoutant à sa grâce une grâce française,
Offrit les mets d’Europe et les mets du désert,
Tandis qu’autour de nous, monotone concert,
Que couvraient par instants les fanfares de France,
Tobols et derboukas, avec indifférence,
Parmi les pas, les voix des serviteurs nombreux,
Sonnaient, vibraient, grondaient, se répondaient entre eux
Sans répit, sans repos, sans relâche, sans trêve,
Mêlant aux bruits d’un soir l’éternité du rêve !
Tout à coup, nous tournons tous ensemble les yeux,
Car notre hôte ; — où trouver hôte plus gracieux ? —
Pour nous mieux honorer, — d’un hommage qui plaise
A nos cœurs, — a permis qu’auprès d’une Française,
Sa fille, déjà belle aux regards de l’amour,
Parût à notre table, et qu’elle en fît le tour…
Elle entre, ses grands cils abaissés vers la terre,
Surprise de sortir de l’ombre d’un mystère,
Et tous sentent, longtemps après qu’elle a passé,
Les charmes de sa grâce et de son œil baissé.
Et les chants du désert ont chanté dans mon âme :
Belle petite enfant, promesse d’une femme,
Ta taille est un palmier naissant, dans l’oasis ;
Tes yeux de rossignol, aux cils noirs, et noircis
Par le koheul, sont doux comme la nuit obscure ;
Ta lèvre, humide et fraîche, a l’attrait de l’eau pure
Après trois jours de marche au fond du Sahara.
Ta voix est bonne autant que le chant du bohrah,
Le seul oiseau qu’au fond du désert on entende !…
Dans ce monde, — ô Deïah, — la solitude est grande
Toujours ; mais la beauté, c’est l’éclat rassurant
De l’étoile première au fond du ciel trop grand.
Ton frère, ô noble enfant d’une noble famille,
Est heureux de sa sœur ; ton père, de sa fille ;
Et bienheureux sera le guerrier triomphant
Qui, sous sa tente, doit t’emmener, chère enfant !
— Sois bénie à jamais, beauté jeune et parfaite,
Par ton Dieu, belle enfant agréable au Prophète !
Béni soit le kaïd, ton père respecté,
Deïah, rêve de grâce et d’hospitalité.
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