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Au bord du Désert: L'âme arabe (à Pierre Loti); Impressions; Souvenirs; Légendes arabes; La pétition de l'Arabe

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A CHARLES DE P.

Pourquoi l’as-tu quittée, ô mon cher capitaine,
L’Afrique où le désert te rapprochait de Dieu ?
Où, chaque soir, fidèle à ta marche certaine,
L’Étoile du Berger te guidait de son feu ?
Tu voyais un pays à simple grande ligne
Comme en virent chez eux Moïse et Jésus-Christ ;
Tu voyais refleurir, sur les coteaux, la vigne
Morte chez nous d’un mal qui ronge aussi l’esprit.
Tiens, nous sommes en mai : c’est la fête des roses !
Mais il n’en fleurit point dans les cours des maisons !
Ici, tu ne verras que de petites choses,
D’ignobles appétits, — et jamais d’horizons.
Pourquoi reviens-tu ? — L’heure est assez mal choisie,
Car l’action hésite, et nous ne pensons pas !
Cœur de soldat-héros, tout plein de poésie,
Retourne te grandir aux grandeurs de là-bas !
Ici, point d’idéal. Récompense au plus leste,
A qui saute plus haut le plus comiquement !
Pas un n’ose l’aveu de la foi qui lui reste !
… Mon héros, tu reviens dans un mauvais moment.
Une fausse gaîté parade sur la scène…
Surtout n’y parlons plus de martyre et de mort !
Rions ! gloire au bon mot. Honneur au mot obscène…
Les canards ont fait couin : le chant du cygne a tort !
Guerre à tout idéal ! Sus à l’idéaliste !
Le pire est qu’on s’oublie, et qu’on a, par instants,
Honte d’être soi-même et de s’avouer triste,
Et qu’on est trivial pour être de son temps.
On a pour le talent, les vieillards et les femmes,
Ce manque de respect dont plus d’une sourit !…
Oh ! qui nous refera des cœurs, de grandes âmes ?
Qui viendra terrasser l’analyse et l’esprit ?
Qui nous rendra la France avec sa gaîté saine,
Son goût cornélien pour les efforts virils,
Pour les pleurs généreux, pour la grandeur humaine,
Pour la mort bien soufferte et les nobles périls ?
L’art a le geste louche et l’allure mauvaise ;
Ce qu’on cherche n’est pas le beau : c’est le succès.
Grâce unie à la force, élégance française,
En est-ce donc fini de ce qui fut français !
… Va, retourne, mon frère, à tes déserts d’Afrique ;
Va voir sous son burnous, pauvre avec l’air d’un roi,
L’Arabe au geste lent, simple comme l’antique,
Noble, vivre et mourir dans l’orgueil de sa foi !
Va les voir, sur les rails, lorsque le train s’arrête,
Sortir de leurs wagons, le soir, cinquante ou cent,
Et tous, courbés, frappant le sol avec la tête,
Vers la Mecque tournés, prier le Seul Puissant !
Va les voir faire en paix ce qu’ils croient devoir faire,
Sans s’occuper d’un mot ou d’un rire moqueur,
Gravement, comme s’ils n’avaient pas d’autre affaire,
Vaincus, que de donner un exemple au vainqueur.
Et puis, soldat, au seuil de la tente de toile,
Avant de t’endormir, tu pourras librement
Voir, dès l’aube et le soir, Zorah, la Belle Étoile,
Briller, près de la lune, au bord du firmament.
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