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Au bord du Désert: L'âme arabe (à Pierre Loti); Impressions; Souvenirs; Légendes arabes; La pétition de l'Arabe
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LE MUEZZIN
Le jour, au bord des cieux indifférents et calmes,
Meurt, baigné dans l’horreur d’un sang mystérieux.
Biskra va s’endormir lourdement sous les palmes,
Au bord du grand désert morne et sous les grands cieux.
Le jour à l’agonie est muet. Rien ne trouble
Le silence infini montant de tous côtés.
Sous le ciel du désert la solitude est double,
Et l’homme est bien perdu dans deux immensités.
La mer, on la commande encore avec des voiles,
Mais le sable infini se refuse aux vivants,
Et le désert du ciel, que sablent les étoiles,
N’est pas mieux défendu par l’espace et les vents !
Oui, l’homme est bien perdu devant ce double espace,
Où le soleil devient le terrible ennemi ;
Où les mille chameaux d’une tribu qui passe
Font songer au néant des pas de la fourmi !
Et là, tout seul, au bord du désert qui commence,
Le village blanc veille et dort sous les palmiers,
Et nuit et jour, sentant la solitude immense,
Jette à Dieu des appels et des cris coutumiers.
Sur la pourpre du ciel, silhouette sublime,
Levant ses bras chargés des longs plis du burnous,
L’Arabe agenouillé, triste, implore l’abîme,
Met le front dans le sable et dit : « Dieu ! pense à nous ! »
On les voit, isolés, — parfois plusieurs ensemble, —
S’affaisser tout à coup, quand le soleil se meurt,
Et c’est alors qu’avec sa longue voix qui tremble
Le Muezzin en prière exhale sa clameur.
Oh ! la plainte infinie ! oh ! la prière lente !
Oh ! supplication des bras, des cœurs, des mains !
Comme il faut que la plaie affreuse soit sanglante
Pour qu’un seul cri rassemble en lui les cris humains !
Du haut du minaret, pareil à la vigie,
Le Muezzin, surveillant l’infini du désert,
Sent mourir dans son cœur la lumière rougie,
Et gémit tous les maux dont son peuple a souffert.
— « Oh ! nous sommes maudits ! pervers et périssables !
Oh ! qui nous soutiendra, si tu ne veilles point !
O toi qui fais chanter la « musique des sables »,
Nos douleurs en chantant t’invoquent pour témoin ! »
Et les plaints du Muezzin courbé vont, d’onde en onde,
Mourir dans le désert morne et silencieux,
Comme un écho de l’âme éternelle du monde
Qui roule aussi, perdu dans le désert des cieux.
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