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Au bord du Désert: L'âme arabe (à Pierre Loti); Impressions; Souvenirs; Légendes arabes; La pétition de l'Arabe
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LE GÉNÉRAL MARGUERITTE[1]
[1] Ces vers ont été lus par l’auteur à l’inauguration de la statue du général Margueritte, à Kouba, le 17 avril 1887.
En face, — par delà cette mer aux eaux bleues,
Chemin universel, large de deux cents lieues, —
C’est la France… Et le sol fleuri, tout sablé d’or,
Que nous foulons ici, qu’est-ce ? — La France encor.
Deux Frances ; un seul cœur pour la joie ou l’épreuve :
On dirait simplement les deux rives d’un fleuve !
Et Margueritte, né de Lorrains paysans,
Fils d’un soldat, chasseur de fauves à quinze ans,
Cavalier du désert, visage allégorique,
Tomba devant Sedan. — C’est le Français d’Afrique.
C’est un soldat de paix, ce guerrier sans repos.
Conquérant, protecteur d’hommes et de troupeaux,
Créateur de chemins, bienfaiteur militaire,
Il bâtissait la ville, il fécondait la terre ;
Il forçait le désert à créer l’oasis.
Tel, esprit, cœur d’élite entre les mieux choisis
Il se fit respecter par l’Arabe nomade,
Comme un grand chef et comme un noble camarade
Jusqu’au fond du M’Zab, au Sud, il a porté
La France et sa grandeur : la Générosité.
Pour devise, il prit : Duc in altum ! « Monte au large ! »
Et loin, toujours plus loin, il commanda la charge
Sublime, l’En-avant du civilisateur !
Que sa statue, un soir, debout sur la hauteur,
Vienne à crier : « Qui vive ! » au désert sans limite,
— En retrouvant la voix de son chef Margueritte,
Le haut désert, sans fin comme le firmament,
Les douars, dans la nuit, réveillés brusquement,
L’Arabe, secoué dans son indifférence,
Répondront à ce cri, par cet autre cri : « France ! »
… La mère France, un jour l’appelle. — Il part. — Sedan.
Ses cavaliers, debout sous le canon grondant,
Calmes, sentent déjà l’héroïsme inutile !
L’ennemi, sans répit, les frappe, les mutile,
Les hache ! — Ils sont toujours debout, vaincus déjà.
Lui, presque seul, — jamais il ne se ménagea, —
Sans escorte, du sang des autres économe,
Suivi d’un officier, tendre et vaillant cœur d’homme,
Il s’avance… Une balle. Il tombe de cheval.
— « Pouvez-vous remonter à cheval, général ? »
Et, sanglant, une balle affreuse en plein visage,
Il tient en selle, mort ! mais vivant par courage !
Et, beau, devant le sabre incliné des soldats,
Il leur montre l’espoir, en étendant son bras !
C’est alors qu’entraînés par le geste stoïque,
Les deuxième et premier de ses chasseurs d’Afrique,
Chargèrent à ce cri : « Vive le général ! »
Couvrant d’honneur l’éclat du désastre final.
— Adieu, mon général. L’aventure est finie.
Il faut vous préparer à l’horrible agonie.
Réverony, pour mieux vous assister, hélas !
S’étend comme un blessé sur votre matelas,
Pour que vous sentiez mieux votre main dans la sienne,
Et pour que votre front sur un cœur se soutienne…
Il faut mourir !… Alors, sans doute, dans ses yeux,
Comme un songe ont passé la mer et les grands cieux,
Et les déserts conquis ! Et ses fils ! Et sa femme !
Adieu la vie ! adieu les chevaux pleins de flamme,
Dont le pied fin paraît ne pas toucher le sol !
L’autruche qu’on poursuit, dont la course est un vol,
Et qu’on lasse à travers la lande infranchissable !
Le lion roux des monts ! la gazelle du sable !
Les bleus chasseurs d’Afrique et les rouges spahis !…
Adieu la France ! adieu l’Afrique ! le pays
Au double nom…! — On est vaincu sans espérance.
— « Moi, ce n’est rien, dit-il, mais l’armée et la France ! »
C’est ainsi qu’il mourut. — Et la France aujourd’hui
Accomplit son devoir de mère, — et pense à lui.
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