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Au bord du Désert: L'âme arabe (à Pierre Loti); Impressions; Souvenirs; Légendes arabes; La pétition de l'Arabe
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A BAB’AZOUN
J’ai fait des vers pour toi, bon nègre ;
Je veux t’en faire de meilleurs :
On y sentait l’ironie aigre,
Et je n’aime pas les railleurs.
Joyeux et noir porteur de lyre,
Je fais mon devoir en t’aimant,
Bab’Azoun, — Salem, veux-je dire, —
C’est vrai que je t’aime vraiment.
Trois notes, sur la corde unique
De ta lyre à l’archet courbé,
Te suffisent, noir sympathique,
Danseur qui n’es jamais tombé !
Tu ne connais qu’un saut de danse :
Un pied arrière, un pied avant ;
Mais tu martèles la cadence,
Et je te trouve assez savant.
Ton bon rire à belles dents blanches,
Sous tes lèvres de charbonnier,
Est un lys perdu dans les branches
Obscures du noir ébénier !
Et tu ris au tableau qui change
Dans l’univers toujours pareil,
En dînant tantôt d’une orange,
Tantôt d’un rayon de soleil.
Tu trouves que la rose est belle,
Autant, plus ou moins que Zorah,
Et Zorah, — tu danses pour elle,
En rêvant qu’elle t’aimera.
Ton art, c’est de rire à ton rêve,
De revoir la vie en trois sons,
De savoir qu’elle est simple et brève,
Et de danser à tes chansons.
Ton art, c’est d’être toi, sans honte,
Moitié nu, noir, et, propre ou non,
De ne chercher en fin de compte
Ni gros argent, ni grand renom !
Et cela, pourquoi ? pour distraire
Ceux à qui plaît… ce qui te plaît !…
Tu vois bien que je suis ton frère,
Moi qui suis plus blanc que le lait !
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