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Au bord du Désert: L'âme arabe (à Pierre Loti); Impressions; Souvenirs; Légendes arabes; La pétition de l'Arabe
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DANS LA MOSQUÉE
(ALGER)
Je laissai sur le seuil ma poudreuse chaussure,
Et j’entrai. — La mosquée heureuse, claire-obscure,
Était comme un de ces jardins délicieux,
Où les arbres, tout en gazant l’éclat des cieux,
Nous gardent la gaîté du jour dans l’ombre même.
La mosquée en effet est le jardin suprême
Où l’ombre et la fraîcheur embellissent le jour.
— Quand l’air semble, au dehors, le souffle ardent d’un four,
Quand, le long des murs blancs, ruisselle de la flamme,
La suave mosquée est, aux yeux comme à l’âme,
Une fraîche oasis où Dieu donne au passant
L’ombre et l’eau. (Béni soit le nom du Tout-Puissant !)
… L’eau coule à petit bruit dans la vasque profonde ;
Et tous viennent mouiller leurs bras, leurs pieds, à l’onde
Symbolique, et, lavés dans leur cœur et leur corps,
Retournent plus heureux aux choses du dehors.
Les colonnes sont là telles que des troncs d’arbre,
Et les nattes sans fin, qui recouvrent le marbre,
Sont comme un doux tapis de fleurs et de gazon…
Bénis soient à jamais ton nom et ta maison,
Dieu puissant ! ta mosquée en aucun temps déserte,
Qui pour les vrais croyants seuls devrait être ouverte !…
— L’un y reste à genoux longtemps, le front courbé ;
L’autre, tout de son long, semble un guerrier tombé ;
L’autre y berce, en dormant, sa sainte rêverie ;
L’autre y baise cent fois le sol ; chacun y prie…
C’est la maison de tous les serviteurs d’Allah !…
De quel droit les roumis peuvent-ils entrer là ?
Me voyant circuler, curieux, dans l’asile
Des croyants, — un vieux pauvre, un nègre, qui, tranquille,
Dans ce lieu de douceur, loin des âpres rayons,
Sale et nu comme Job, recousait des haillons,
Redressant tout à coup son torse de squelette,
Se prit à me crier : « Vainqueur maudit, arrête !
De quel droit souilles-tu, chien, l’asile de Dieu ?
De quel droit les roumis entrent-ils dans ce lieu ?
Il est volé, ce droit !… Allah le leur refuse !
O malédiction ! le juif lui-même en use !
Respecte cette natte ! et respecte ma foi !
Hors d’ici, chien ! Ton âme est plus noire que moi ! »
Ce nègre, affreux vieillard, chargé de sa misère,
Maigre, effrayant, sordide, était beau de colère,
Et je sortis, vaincu, sous le geste irrité
Du mendiant tout plein de sa divinité.
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