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Au bord du Désert: L'âme arabe (à Pierre Loti); Impressions; Souvenirs; Légendes arabes; La pétition de l'Arabe

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A. ED. H.

SOLDAT-POÈTE

Tu pars, soldat, pour l’Algérie ;
Pars, c’est encore la patrie.
Suivi des cœurs, suivi des yeux,
Pars joyeux.
Quitte la France pour la France ;
Pars, joyeux comme l’espérance ;
Pars ; c’est peut-être un beau péril :
Non l’exil.
Tu vas retrouver, camarade,
Les souvenirs de la croisade ;
Des temps où l’on baisait le bois
De la Croix.
En Afrique, on boit dans des coupes ;
Là, les chevaux ont sur leurs croupes
Des tapis de soie éclatants
Et flottants.
L’âme des preux y vibre encore,
Dans l’air bleu, dans le flot sonore ;
Tes yeux reverront, éblouis,
Saint Louis.
Tu vas admirer la prière
De l’Arabe, dans la poussière,
Sous les nobles plis des burnous,
A genoux.
Tu vas voir une foi vivante,
Malgré ce que le siècle invente
De doute et de raisonnements
Assommants.
Tu vas voir, le turban en tête,
Les bédouins qui croient au Prophète,
Et, — mon colonel, tu souris ! —
Aux houris.
Tu vas entendre, en criant grâce,
Des noirs, — musiciens de race ;
Et le tobol, la derbouka
De Barka.
Tu vas voir les conteurs arabes
Égrener les lentes syllabes
Comme les grains des chapelets :
Entend-les.
Tu vas voir, transpercés d’un glaive,
Les Aïssaouas, qu’on élève
A mâcher du verre et du feu…
Oh ! mon Dieu !
Sur les ruines de Carthage,
Comme un ancien grand personnage,
Tu vas pleurer, — sois-en certain, —
En latin !…
Tu vas fouler des mosaïques ;
Acheter des bijoux antiques,
Ouvrages de quelques hardis
Érudits.
Ne vois pas la danse du ventre !
— Plus de lion !… Va voir un antre.
Songe à Cervantès, à Pança…
Pense à ça !
Songe aussi que l’humeur badine
A l’humeur noire pour cousine,
Et vois que je suis sérieux,
A mes yeux.
Assure Mirah, la négresse
Au rire blanc, — de ma tendresse,
Et dis tout ce qui te plaira
A Zorah.
A Fatma, qu’elle est sans pareille,
Avec ses jasmins sur l’oreille,
Et son grand pantalon bouffant,
Chère enfant !
A… Aïcha, qu’on se rappelle
Qu’elle est aussi bête que belle,
De fuir le pays du lion,
Pour Lyon !
A Bab’Azoun, mon noir confrère,
Si tu veux vous entre-distraire,
Conseille de faire semblant
D’être blanc !
Dis au diable, — puisqu’il est nègre, —
Que l’esprit français tourne à l’aigre,
Et de nous emporter un peu
Jusqu’à Dieu !
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