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Au bord du Désert: L'âme arabe (à Pierre Loti); Impressions; Souvenirs; Légendes arabes; La pétition de l'Arabe
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LE NOMADE
Loin des hommes, bien loin des hommes et des villes ;
Loin des juifs, des marchands dont les âmes sont viles ;
Loin des chrétiens, qui sont nos maîtres détestés ;
Sous le désert divin des cieux illimités,
Sur les plateaux des monts ou dans la plaine immense,
Dans l’oasis ; dans les déserts où Dieu commence,
Où finit la puissance humaine, — où le soleil
S’assied comme un grand roi sur un trône vermeil,
Dans le sable, qui couvre une mer inconnue,
— Errants comme la vague et les vents et la nue,
Comme le brin de paille au hasard emporté, —
Nous vivons pauvres, seuls, riches de liberté !
Vois-tu luire là-bas, dans la plaine éclatante,
Cette tente rayée, au soleil ? — c’est ma tente,
Le poil de mes chameaux en a fait le tissu
Blanc et noir, — par un fil des mêmes poils cousu.
Là-dessous, mes enfants vivent avec mes femmes ;
Là-dessus le soleil fait ruisseler ses flammes,
Et l’orage ses eaux en vain ; c’est notre abri.
Là, ma chèvre bêlante amène son cabri,
Ma jument son poulain, dès qu’ils sentent l’orage.
Je l’ai plantée hier auprès d’un pâturage :
Dès qu’il sera brouté, j’arracherai les pieux,
Et nous repartirons librement sous les cieux,
Et nous irons, le corps refait, l’âme contente,
A cheval, à chameau, portant piquets et tente,
Par les femmes suivis, précédés du bétail.
Repartir et marcher, c’est là tout mon travail ;
Mon rêve est une source au bord d’une prairie ;
Toute la solitude immense est ma patrie ;
Mes ennemis sont ceux qui voudraient m’empêcher
De faire aujourd’hui halte et demain de marcher…
J’ai coupé ma matraque, — il sied que j’avertisse, —
Aux arbres des forêts plus droits que la justice !
Je n’ai besoin que d’un peu d’eau, de quelques grains,
Et c’est tout. Mes chameaux m’habillent de leurs crins :
Je sais le goût du lait de mes chamelles rousses,
Et du vin des palmiers chargés de dattes douces…
Ah ! que d’autres, assis, couchés dans leur maison,
Esclaves de la pierre, — ignorent l’horizon,
Comme l’arbre dont la racine est prise en terre !
Qu’ils soient dans leur tombeau comme un mort solitaire…
… Moi, j’ai des pieds ! vers l’horizon toujours nouveau
Je vais ! j’irai partout où se pose l’oiseau !
Au nord, l’été ! l’hiver, au sud ! comme la caille.
Pour nous la pluie est bonne et le soleil travaille ;
Personne mieux que nous ne connaît les printemps ;
Pas un beau ciel n’échappe à nos regards contents ;
Nous jouissons de tout ce que Dieu nous envoie…
Chez vous, que de beaux jours sont beaux sans qu’on les voie !
Pour vous, sur les sommets d’un feu rouge inondés,
Que de couchants sont beaux sans être regardés !
Vos yeux ne savent pas où luit la Belle Étoile !
Les merveilles de Dieu, votre mur vous les voile ;
La rue est un fossé de tombe, un caveau noir…
Nous, nous ne laissons point passer Dieu — sans le voir !
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