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Au bord du Désert: L'âme arabe (à Pierre Loti); Impressions; Souvenirs; Légendes arabes; La pétition de l'Arabe
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CHANT DES TOUAREGS
Au désert, grand comme la mer,
Nous vivons libres sous l’espace,
Libres comme l’oiseau qui passe,
Et comme l’air !
Que viennent-ils chercher ici, les chiens d’Europe ?
Leurs promesses sont d’or, leurs actes de plomb vil.
Qu’un nuage de traits siffle et les enveloppe !
Le carquois nargue le fusil !
Ils ne l’atteindront pas, le chameau qui galope !
Où rugit le lion, le chien jappera-t-il ?
Les lions du désert ont flairé son approche ;
Ils n’aiment pas l’odeur de l’esclave et du chien !
Elle a des dents de fer, la flèche que décoche
Le Targui, qui n’a peur de rien !
Le renard, chien des monts, disparaît sous la roche,
Lorsque le grand lion des sables — le veut bien !
Nous sommes grands et fiers, le bras fort, la main fine,
Portant sur nos chameaux, aussi prompts que l’éclair,
Un sabre, un croc, la lance avec la javeline,
La massue à broyer la chair…
Notre poignard touareg, à lame serpentine,
Tient par un bracelet à nos poignets de fer.
Regardez le Targui voyager dans le sable !
Lui seul, dix jours durant, vit de dattes et d’eau ;
N’en a-t-il plus ? Alors, si la marche l’accable,
Il boit du sang de son chameau !
La poix ferme la plaie ; et l’homme infatigable
Bénit Allah l’unique, et marche de nouveau !
Y vivrez-vous deux jours, dans le désert terrible ?
Votre bras s’est armé, mais les cœurs et le front ?
Lorsque le feu pleuvra comme le grain d’un crible,
Les hardis se repentiront !
Et nous, quand l’étranger crîra la soif horrible,
Nous le regarderons mourir, — groupés en rond !
Qu’ils restent dans leur ville où s’abaissent les âmes !
Ils voudraient apporter ici — ce qui les perd !…
Sur notre mer de sable où tremble l’air en flammes,
L’oasis n’est qu’un îlot vert…
Vous aimez trop le vin, l’argent, l’or et les femmes :
Allez-vous-en d’ici ! Dieu garde son désert !
Nous avons fait un pacte avec la lande immense ;
Le roi notre allié s’appelle le soleil !
Il est juste et sévère, il est plein de clémence :
C’est un Salomon sans pareil !
Par delà l’Océan sa puissance commence ;
Il prête au mont Atlas un bandeau d’or vermeil,
Nous ne convoitons pas vos immondes fortunes ;
Nous gardons contre vous, passants de Dieu maudits,
La liberté farouche et le désert des dunes :
Deux biens qui vous sont interdits !…
Allez porter ailleurs vos faces importunes !…
Ici, c’est votre enfer ! c’est notre paradis !
Au désert, plus grand que la mer,
Nous vivons libres sous l’espace,
Libres comme l’oiseau qui passe,
Et comme l’air !
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