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Au bord du Désert: L'âme arabe (à Pierre Loti); Impressions; Souvenirs; Légendes arabes; La pétition de l'Arabe

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LA DANSE DU SABRE

Ils arrivent, le sabre au poing,
Un sabre courbe à large lame.
Le motif du duel ? — Une femme !…
Ils ne se ménageront point.
Le plus jeune dit : « Camarade,
J’ai le bras fort, je pique droit ! »
Le plus vieux dit : « Je suis adroit ! »
— La parade suit la parade.
Ils rusent. Chaque mouvement
Est une secrète menace.
Sous la grâce, la mort grimace…
La musique bat vivement.
La derbouka, forme de cruche,
Et le tobol, sont deux tambours
Qui, sous les doigts, roulent toujours
Comme le bourdon d’une ruche.
Musique sans fin. Pan ! tan ! pan !
Le vieux saute ; l’autre s’apprête
A lui trancher d’un coup la tête :
Le sabre effleure le turban !
Pan ! tan ! pan !… ah ! la peau d’un âne,
Quand elle chante, va longtemps !…
Le barbon dit au jeune : « Attends !
Je vais te fendre en deux le crâne ! »
Mais l’autre, sous son sabre arqué,
Défend son turban et le reste.
Ah ! çà ! lequel est le plus leste ?
— Touché, cette fois !… — Non, manqué !
L’un, qui s’est baissé, se relève,
Quand l’autre le guette en rampant.
La ruse souple est un serpent ;
La vie, une danse du glaive.
On n’a pas besoin d’être mort
Pour être vaincu dans la lutte.
Un faux pas suffit, une chute…
Le mieux dansant, c’est le plus fort.
L’amoureuse est là, dans la foule,
Celle pour qui le duel a lieu :
La panthère regrette un peu
De ne pas voir du sang qui coule.
Ce vieux l’ennuie en vérité !
Pourquoi n’est-ce là qu’une danse ?
La derbouka roule en cadence ;
Le tobol n’a pas arrêté.
Sachez donc (c’est le fond du drame)
Que l’amoureuse, c’est Barka,
Celle qui bat la derbouka…
La musique a l’amour pour âme.
Le tobol n’est que confident
Aux mains de la vieille négresse ;
La derbouka saute et se presse ;
Le tobol la suit en grondant.
Et si la musique endiablée
Va si longtemps ce train d’enfer,
C’est qu’elle désire, — c’est clair, —
De voir la vieillesse essoufflée !
O femme, qu’on le veuille ou non,
L’homme saute ; l’amour le mène !
Et tu fais danser l’âme humaine
En grattant la peau de l’ânon.
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