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Au bord du Désert: L'âme arabe (à Pierre Loti); Impressions; Souvenirs; Légendes arabes; La pétition de l'Arabe
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LE CADI
Le plus sage se trompe ; un enfant le confond ;
Dieu seul peut être juste : il voit les cœurs au fond ;
C’est pourquoi la clémence humaine est chose sainte.
Un bon juge est toujours plein de trouble et de crainte,
Sachant qu’il ne peut pas être juste longtemps,
Fût-il sage parmi les sages éclatants.
Tel est un bon nageur, si bon qu’on le proclame,
Adroit et fort, habile à bien couper la lame,
Mais qui seul au milieu des grands flots inconstants,
En pleine et haute mer ne nage pas longtemps.
On raconte qu’Ali-Shérif était si sage
Qu’on le nomma cadi (juge) dans son grand âge.
— « C’est pour te faire honneur, ami, dit le sultan,
Et pour aider à la justice… Es-tu content ? »
Mais le sage, frappant du visage la terre,
S’écria : « J’ai vécu ma longue vie austère,
Juste, dit-on, mais seul ! — j’ai respecté la loi…
Mais je n’ai point jugé d’autres hommes que moi !
Oh ! par pitié, grand Dieu ! (secours-moi, saint Prophète !)
Si j’ai su vénérer la justice parfaite,
Épargne la misère à ton vieux serviteur
De punir l’innocent, de louer l’imposteur,
Et cela pour avoir trop aimé la justice !
O Dieu ! que ta bonté suprême compatisse !…
Ne me condamne pas à ce terrible honneur ! »
Et ce vieillard mourut, exaucé du Seigneur.
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