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Au bord du Désert: L'âme arabe (à Pierre Loti); Impressions; Souvenirs; Légendes arabes; La pétition de l'Arabe
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A BISKRA
Activant leurs mulets — dont plus d’un s’abattra —
Par l’éperon qui blesse et le fouet qui harcèle,
Les bons hussards, actifs, et penchés sur la selle,
Filent grand train vers Biskra.
En avant ! — Et le fouet cingle, l’éperon pique.
On part. El Kantara. Rochers fauves et nus…
Enfin voici vraiment des aspects inconnus,
Et voici vraiment l’Afrique.
De la gorge aux rochers roux et nus, brusquement
On débouche ! et du seuil de cette porte ouverte
On voit, se découpant sur le sol roux, bien verte,
L’oasis, — îlot charmant.
Ses bords verts tranchent net sur cette terre rousse,
Cuite au soleil, bossue et couleur de chameau.
Plus loin, le sol partout poudroie, — et songe à l’eau,
Sans laquelle rien ne pousse.
Quelques touffes d’alfa, quelques jets de diss vert…
En avant ! la prolonge à grand bruit file et saute.
Voici le col de Sfâ. Brusquement, — de la côte,
On découvre le désert.
Le désert ! — l’infini. Rien. Des milliers de lieues
Dont l’œil ne voit jamais que ce qu’il en peut voir :
Un horizon borné, lignes d’or que le soir
Change en longues lignes bleues.
Mais on sait que là-bas cet horizon, pareil
A celui de la mer immense, c’est du sable :
Le Sahara rebelle et pourtant franchissable,
Trône et miroir du soleil.
Et l’esprit rêve, empli d’une terreur profonde,
A l’exiguïté des héros aux grands cœurs…
Que ton ombre est petite, race des vainqueurs,
Qui te soumettras le monde !
Et l’on songe à ceux-là qui, chaque jour un peu,
Conquièrent l’inconnu sur mille points du globe !…
Vainement, sous leurs pieds, le sable se dérobe…
Ils l’auront, le désert bleu !
En route ! — Assez rêver… On repart comme en songe,
Et, sur leurs fins chevaux, les enfants du pays
Galopent près de nous, Arabes et spahis…
Notre ombre à nos pieds s’allonge.
Oh ! que de cavaliers bondissant près de nous,
Autour de nous, tout près et là-bas ! plus de mille !
Le désert est battu comme un pavé de ville…
Voyez donc, que de burnous !
En avant, cavaliers ! courez ! la lande est large !…
Nuage de poussière et de burnous flottants,
Tout vole et tout bondit ! les hussards sont contents :
C’est la fureur d’une charge !
Tous les cœurs, entraînés dans ce torrent qui fuit,
Roulent sur les essieux, chevauchent sur les selles…
Au désert !… Par moments tous les cœurs ont des ailes !
Un souffle passe, on le suit.
Pas un qui regardât avec indifférence !
Tous sentaient, — arrivés devant l’espace ouvert, —
Que ce piétinement faisait, dans le désert,
De la poussière de France !
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