Histoire naturelle des oiseaux d'Afrique, t. 1
LE CAFFRE, No. 6.
On peut regarder cet oiseau comme une espèce intermédiaire formant la nuance entre les aigles et les vautours. Il ressemble plus aux derniers par la forme de son bec, et par ses serres, qu’il a peu arquées et émoussées; mais il n’a pas la tête dénuée de plumes; caractère invariable que nos méthodistes ont assigné à ce genre d’oiseaux. Celles qui recouvrent le cou ne sont point non plus effilées et alongées comme elles le sont, en général, chez les vautours. C’est donc une de ces espèces qui contrarient encore nos divisions méthodiques, et qui se refusent aux classifications qu’ont adoptées plusieurs de nos nomenclateurs, mais que la nature désavoue. L’état actuel de l’histoire naturelle nous a montré tant de fois la nature se jouant des règles précises et rigoureuses de nos systêmes, que nous devons déja être accoutumés à ses écarts; de sorte que nous pouvons en conclure que nos méthodes deviendront toujours plus fautives à mesure que nos connoissances s’étendront, et que nous découvrirons un plus grand nombre d’espèces; qui, comme celle dont il est question, très-utile à l’arrangement d’une série naturelle, l’est en revanche très-peu à nos divisions tranchantes et systématiques.
Le Caffre est de la taille de l’aigle royal ou grand aigle. Il a le bec plus fort, les ongles courts et moins arqués. Les aîles ployées s’étendent, dans cette espèce, de huit pouces au-delà du bout de la queue, dont la pointe est usée et élimée, parce que, l’oiseau se retirant dans les rochers et se posant plus souvent à terre que l’aigle, le frottement l’endommage un peu. Le tarse est couvert de plumes qui descendent jusque sur les doigts. La queue est arrondie, les plumes extérieures étant les plus courtes.
Tout le plumage du Caffre est d’un noir mat, à l’exception de quelques reflets brunâtres dans les petites couvertures des aîles, vers les pennes de l’aîle. L’œil, qui est très-grand, s’enfonce profondément dans l’orbite; et l’iris est d’un brun maron. Le bec est bleuâtre à sa base, et jaunâtre dans toute la partie de sa courbure. Les ongles sont noirs et les doigts d’un jaune terne. Je n’ai rencontré ces oiseaux que dans le voisinage de la Caffrerie, où ils sont même assez rares. Je n’ai vu en tout que cinq individus de cette espèce, du nombre desquels il ne m’a été possible d’en tuer que deux, qui vinrent se précipiter sur les débris d’un buffle, que j’avois fait jeter à l’écart pour les attirer. En les écorchant, il s’exhala de leurs corps une odeur insupportable; ce qui prouve qu’ils font leur principale nourriture des cadavres qu’ils rencontrent. Comme les vautours, ils sont obligés de marcher quelques pas avant de pouvoir s’enlever de terre; mais ils ne volent point en grandes troupes, car je ne les ai jamais vu que deux ensemble, apparemment le mâle et la femelle. N’ayant tué que deux femelles, je ne puis indiquer la différence qui se trouve entre les deux sexes. Je n’ai pu rien apprendre de particulier sur leurs habitudes et leurs pontes; les Sauvages m’ont assuré seulement qu’ils nichent dans les rochers; qu’ils attaquent les agneaux, les dévorent sur la place, et que jamais ils n’emportent leur proie dans leurs griffes, même quand ils ont des petits. Nous savons que l’aigle porte, de cette manière, la sienne dans son aire, pour la déchirer et la partager ensuite à ses aiglons. Le vautour, au contraire, n’apporte à ses petits leur nourriture que dans son jabot, d’où il la dégorge ensuite. Voilà du moins une observation que j’ai faite plusieurs fois sur l’espèce que les colons du Cap nomment stront-vogel (oiseau de merde), ou aas-vogel (oiseau de charogne). Il y a même lieu de croire que c’est là généralement l’usage de tous les vautours; car leurs griffes ne sont pas propres à empoigner ni à serrer fortement.