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Histoire naturelle des oiseaux d'Afrique, t. 1

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LA CHOUETTE[A].

Notre Chouette ou grande chevèche, comme l’a nommé Buffon[24] d’après Belon, se retrouve au Cap de Bonne-Espérance, où elle est tout aussi commune qu’en France. Cette espèce est encore une de celles que l’on voit également répandue, non-seulement dans toutes les différentes contrées de l’Europe, mais qui se rencontre aussi dans les autres parties du monde, où elle n’a pas varié d’une manière fort sensible. Les colons du Cap donnent généralement le nom hollandois de uyl à toutes les espèces de Chouettes indistinctement. Celle-ci est fort commune sur les montagnes, et particulièrement sur celles qui sont garnies de rochers; elle couve et élève ses petits dans leurs cavernes et s’y retire pendant le jour.

J’ai reçu de Cayenne une Chouette absolument pareille à celle du Cap et d’Europe.

J’ai ouï parler souvent aux colons du Cap d’une très-petite espèce de Chouette, sans oreilles ou aigrettes, que je n’ai jamais tuée, ni même apperçue. C’est probablement la chevèche[25] qu’ils vouloient m’indiquer. Il est même plus que probable que cet oiseau se trouve aussi en Afrique, puisque toutes nos autres espèces de Chouettes s’y trouvent également. Cependant je n’assurerai pas que la hulotte ou le chat-huant[26] habite cette partie du monde, ne l’y ayant jamais vue, et n’ayant pas même entendu dire qu’elle se trouvât dans aucun canton de la Colonie.

DE L’EFFRAIE.

L’Effraie ou Fressaie[27] est très-commune au Cap de Bonne-Espérance, où elle a moins varié encore que les espèces dont j’ai fait mention dans les articles précédens; car non-seulement elle y est absolument la même, mais on trouve qu’elle subit en Afrique les mêmes variations que dans nos climats glacés: je l’y ai vue avec tout le dessous du corps, ainsi que toute la face, d’une couleur roussâtre uniforme, qui est la livrée du mâle dans son jeune âge. Quelquefois le roux des parties inférieures se trouve parsemé de traits noirs; telle est la femelle dans son enfance. Adulte, le mâle a le dessous du corps d’un beau blanc, et la femelle porte des taches longuettes noires. Enfin, l’Effraie ou Fressaie est au Cap de Bonne-Espérance absolument le même oiseau qu’en Europe; mais comme dans ce pays peu habité il n’y a ni vieux châteaux, ni vieilles tours, elle se tient dans les cavernes des rochers, où elle pond, sur un amas de branches et de feuilles sèches, sept à huit œufs blancs. On l’apperçoit rarement pendant le jour; mais le soir elle se répand par-tout, et même dans la ville et sur les habitations à portée des rochers où elle se retire. Les colons, qui ont rapporté dans cette partie du monde les préjugés populaires de l’Europe, voient dans l’Effraie le messager de la mort, et lui donne le nom de dood-vogel (oiseau de la mort). Ils nomment les autres chouettes uylen, nom hollandois de tous les oiseaux nocturnes en général.

Tout ce que nous venons de voir sur le peu de variations qu’ont subi les mêmes espèces de chouettes en Europe et en Afrique, prouve assez que les différens climats ne changent pas autant les couleurs que Buffon paroît l’avoir cru. D’ailleurs, nous verrons, dans tous les genres, beaucoup d’autres oiseaux d’Europe lesquels se trouvent aussi en Afrique, et qui sont restés les mêmes sans avoir subi aucune altération, ni dans leurs couleurs, ni dans leurs caractères.

Jusqu’ici nous avons vu le grand-duc, le moyen-duc, le scops, la chouette et l’Effraie; tous oiseaux qui n’étant certainement point voyageurs, habitent probablement l’Afrique depuis la création du monde. Voilà donc déja cinq espèces bien constatées qui sont restées sans altération, depuis les glaces du nord de l’Europe, jusque dans les climats de la zone torride. Ces espèces ne sont pas seulement confinées au Cap même, mais se trouvent répandues dans l’intérieur de l’Afrique, et sans doute jusque sous la ligne.

J’ai tué des Effraies au Cap même, j’en ai tué chez les Grands Namaquois, j’en ai reçu du Sénégal, de l’Amérique méridionale, de la Chine, et enfin une de Russie; et je puis assurer n’avoir remarqué dans tous ces individus, quoiqu’ils aient habité des climats bien opposés, aucune différence sensible. Si en effet, la nourriture et la température influoient si fort sur la couleur des oiseaux, comme le prétend Buffon à chaque page de son ornithologie, pourquoi trouveroit-on sous la ligne des oiseaux dont le plumage est aussi terne et aussi simple que celui de nos oiseaux d’Europe? Non-seulement ceci a lieu, mais il est à remarquer même que toutes les femelles des espèces les plus brillantes, tels que les colibris, les oiseaux mouches et les sucriers, ont des couleurs sombres et uniformes; tandis que leurs mâles sont si vivement colorés qu’il semble que leurs plumes soient autant de pierres précieuses. Cependant ces femelles prennent certainement la même nourriture et habitent constamment et immédiatement la même température que leurs mâles. D’ailleurs, quoique nos oiseaux ne soient généralement point aussi brillans que certains oiseaux des pays brûlans, on voit cependant sur le plumage de beaucoup d’espèces des couleurs tout aussi vives que les leurs. Le rouge de nos pics et de notre chardonneret; le bleu de notre martin-pêcheur et du rolier; le jaune du loriot; l’éclat de notre étourneau et de la queue de la pie, ne le cèdent en rien à ces mêmes couleurs dans les oiseaux de l’Amérique ou de l’Inde; et de plus, le paon, le faisan doré de la Chine et tant d’autres oiseaux des Indes ou d’Amérique, que nous sommes parvenus à acclimater chez nous, n’y sont pas dégénérés encore pour le brillant et l’éclat de leurs couleurs; cependant il en est quelques-uns dont la transplantation date de plusieurs siècles. Aussi Buffon ne manque-t-il pas de paroître croire que notre martin-pêcheur s’est échappé de ces climats: «où le soleil, dit-il, verse avec les flots d’une lumière plus pure, tous les trésors des plus riches couleurs.»


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