← Retour

Histoire naturelle des oiseaux d'Afrique, t. 1

16px
100%

PRÉFACE.


J’aurois voulu me dispenser de faire une préface à cette partie descriptive de mes voyages, à laquelle les relations que j’ai déja publiées servent naturellement d’introduction; j’ai toujours craint de donner à ce que j’ai fait trop d’importance, et ceux qui me connoissent savent assez quel prix j’attache à cette gloriole littéraire, dont tant d’hommes sont entichés aux dépens de leur repos, quelquefois même de leurs jours. Cependant j’aurois bien quelques confidences à faire au public, et il seroit un peu long d’aller compter à chacun en particulier, les déplaisirs nombreux qui m’ont assailli depuis le moment où l’on m’a traîné sur cette scène littéraire: il faut donc qu’en une seule fois j’en dise une partie à tous, et de la même manière; ceux qui auroient désiré des ménagemens particuliers, ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes d’en avoir manqué à mon égard, et je ne peux avoir deux façons de me plaindre, quand je n’en ai qu’une de sentir l’offense.

Pour prix de mon dévouement aux progrès d’une science que je crois être encore à son enfance, je n’ai reçu que des outrages, je n’ai éprouvé que des injustices; et l’insulte de ceux qui m’ont trompé porte un caractère de bassesse et de lâcheté, dont nulle histoire privée n’offre d’exemple. Je ne suis pas le premier qui ait à se plaindre de l’envie et de la perfidie des hommes; mais je serai sans doute le dernier, qui, forcé de se taire sur la plus lâche imposture et le vol le plus manifeste, se voie dans la dure nécessité de ne pouvoir se plaindre sans honte pour lui-même et sans tache pour celui qui a cherché aussi publiquement à lui nuire.

Des hommes puissans m’avoient attiré, caressé, flatté. Je ne m’en cache pas, j’avois compté sur leur reconnoissance; les motifs qui sembloient la fonder étoient purs et vrais. Je me plaignois avec raison d’avoir sacrifié ma fortune et ma plus belle jeunesse aux progrès d’une science jusqu’alors toute en théorie et que peu d’expérience avoit fondée. Je contrariois, il est vrai, de brillans romanciers, de longues études de cabinet, que nul ne prétendoit avoir faites en pure perte; mais je venois les preuves à la main. J’ouvris aussi un cabinet d’histoire naturelle; j’y déposai les nombreux individus que j’avois été chercher à quatre mille lieues de Paris. Cette ville entière, et tout ce qu’elle renferme d’étrangers, fut à même de juger de mes travaux, et de comparer mes observations aux observations consacrées dès un long-tems dans la collection de mes nombreux oiseaux. Plus de cinq cents individus nouveaux ou faussement décrits, déposoient contre l’ignorance ou le charlatanisme; je soulevai l’un et l’autre contre moi. Depuis dix ans, ils ne m’ont point quitté. Je n’ai recueilli d’autre prix de mes fatigues, de mes efforts et de mes dépenses, que l’honneur de leur être constamment en butte; et je n’ai pas manqué de les trouver dans mon chemin toutes les fois qu’ils ont pu me nuire, soit directement, soit indirectement.

Cependant cette révolution qui, dit-on, remet chaque chose et chacun à sa place, n’étoit pas encore éclose, que le gouvernement, par le seul moyen qui nous convint à tous deux, voulut me dédommager de mes dépenses. Il fut même déja convenu que mon cabinet seroit déposé au Muséum d’histoire naturelle, et qu’il me seroit payé 60 mille livres, outre une pension qui me seroit faite à titre d’indemnité. C’est dans cet instant que naquirent les premiers élans de la liberté; cédant avec transport aux efforts naissans de cette fille chérie de la nature, j’oubliai bientôt mon intérêt particulier pour ne plus songer qu’à l’intérêt général; et je remis à d’autres tems le soin de ma fortune entièrement négligée jusqu’alors. Lors de l’assemblée constituante, le gouvernement parut un moment vouloir remplir, à mon égard, les mêmes engagemens; mais ayant une antipathie insurmontable pour les sollicitations, et n’ayant sur-tout point de ces puissans protecteurs, si nécessaires à ceux qui veulent réussir, je fus bientôt oublié. L’assemblée législative vint à son tour, et fut sur le point de réparer les retards d’une équitable indemnité; mais l’assemblée législative s’endormit également dans sa justice. Enfin, la convention nationale, plus puissante et plus expéditive, sembla se proposer de réparer les torts qu’on m’avoit fait éprouver jusqu’alors. La plus grande partie des membres du comité d’instruction publique virent mon cabinet; des commissaires furent nommés pour le visiter; la commission temporaire des arts fut elle-même saisie de cette affaire; les citoyens Richard et Lamarck firent un rapport à ce sujet; enfin, aucun moyen économique d’entrer en possession des seules richesses que je possédasse au monde ne fut négligé. Mais des affaires plus intéressantes sans doute, firent oublier la mienne. Ayant écrit une lettre au comité pour la lui rappeler, on parla de faire faire l’estimation de mon cabinet. ESTIMER un à un les individus d’une collection! qui m’avoit couté trente ans de travail, dont cinq années de courses dans les déserts brûlans de l’Afrique, et pour laquelle je ne demandois pas la vingtième partie de la valeur; puisque, malgré les progrès des tems et la différence des besoins, la somme offerte en 1789 étoit celle que je demandois encore au gouvernement en 1795. . . . . Enfin, cette somme, malgré sa modicité, est restée dans les trésors de la nation, et mon cabinet est toujours en mon pouvoir, et va probablement passer à l’étranger ou être dispersé, car ma fortune ne me permet plus de le garder.

Un autre espoir m’occupe aujourd’hui entièrement, et me fera peut-être oublier d’aussi longues injustices. Livré tout entier aux soins que demande mon Ornithologie, je me console de ne pas voir au rang des richesses nationales l’humble mais rare tribut que je venois offrir à ma patrie; je donnerai mes oiseaux à l’Europe entière: j’en ai multiplié les portraits fidèlement peints, et aussi fidèlement décrits; ils seront pour les amateurs et pour les savans une propriété plus précieuse; ils pourront les consulter, les visiter à toute heure; les originaux sortiroient en vain de France, nul événement ne peut plus leur porter atteinte; tous les dessins de mon Ornithologie sont achevés.

En publiant l’Histoire des oiseaux d’Afrique, j’ai cru que c’étoit rendre service à la science que de faire mention de toutes les espèces rares et non décrites que j’ai trouvées dans les différens cabinets de l’Europe. J’ai eu soin en même tems de désigner toujours la collection d’où je les ai tirées: je préviens les lecteurs que tous les oiseaux qui se trouvent sans cette indication appartiennent à ma collection, et que les numéros qui sont placés en tête de chaque oiseau correspondent à la planche qui représente l’espèce dont je donne la description.


HISTOIRE NATURELLE

DES OISEAUX D’AFRIQUE.


Chargement de la publicité...